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Philippe Starck & Philippe Journo

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Le premier est le petit prince du design. Le second est l’enchanteur des retail parks. Volontairement décalés, nécessairement intemporels, foncièrement différents, Philippe Starck et Philippe Journo ont en commun tellement de choses. Ils bousculent, ils dérangent, ils cassent les codes, ils surprennent leurs publics comme le font des enfants à qui, en définitive, on pardonne tout. Le choc de leur rencontre, c’est un hôtel Hilton rive-gauche à Paris. Et c’est dans le numéro de lancement de in interiors…

in interiors : Contez-nous votre rencontre…

Philippe Starck : La rencontre est vitale. Je crois fondamentalement que pour que les enfants soient beaux, les parents doivent être amoureux. Je crois également qu’il existe deux sortes de managers : les directeurs et les patrons. Philippe Journo est un grand patron, un boss. Il a une vraie vision, personnelle, qu’il a bâtie par intuition, par expérience et par goût. Il a un formidable courage qui n’est pas guidé par la vénalité. Ce sont les grandes clés de la réussite en affaires et en projets. Avec Philippe Journo, les décisions sont immédiates. Un regard, une impression et il sait. Il a un instinct extraordinaire. C’est un animal d’instinct. Et je ne crois que dans l’instinct. Bien évidemment, derrière, il y a une formidable intelligence et une expérience. C’est les grands fauves, les grands prédateurs. Philippe Journo est le partenaire idéal pour un créateur. C’est aussi le joueur idéal pour la société, car il appartient à la famille de ceux qui font. Tourné vers l’avenir, il est dans la grande vision de la modernité, et comme il est intelligent, il filtre suffisamment pour que cela soit intemporel. Quand on a un Journo, le mieux c’est de prendre un abonnement à ce journal-là.

Philippe Journo : J’étais déjà tombé amoureux de Philippe Starck avant de le connaître, car j’ai toujours eu une grande admiration pour son travail et son personnage. J’aime son intelligence fulgurante, son œil, son côté citoyen du monde qui, au gré de ses voyages, apportent à ses créations une dimension intemporelle. La France compte de grands designers, mais Starck figure tout en haut comme Nouvel est inscrit à mon panthéon des architectes. Je savoure l’idée de savoir que chaque Français a un objet de Starck chez lui. Il est l’homme qui a fait rentrer le design dans la vie quotidienne des gens. C’est tout le contraire d’un designer élitiste. 
Notre première rencontre professionnelle est une défaite : un projet de retail park à Montpellier qui n’a pas été retenu. Notre première réalisation commune à être livrée sera l’Hôtel Hilton Saxe, avant l’extension de Central Park Valvert.

« Avec Philippe Journo, les décisions sont immédiates. Un regard, une impression et il sait »


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Philippe Starck

ii : Pas trop difficile de travailler avec son alter ego ?

P. S. : On rit beaucoup, on travaille extrêmement peu, car on se comprend formidablement bien. Nous sommes tous les deux des personnes très pragmatiques. Nous n’avons pas de théorie établie. On sait ce que l’on veut construire, ce dont on a besoin et comment on va y arriver. Avec Philippe, tous les champs du possible sont ouverts, tout va donc extrêmement vite. Dans un rendez-vous d’une heure, les mots professionnels représentent 20 %, le reste, nous allons plaisanter et rire aux larmes. C’est important, car, que l’on soit architecte, designer, promoteur immobilier, nous ne sommes pas vraiment utiles à la société. Notre but est simplement d’essayer avec la plus grande honnêteté d’améliorer la vie et, pour y parvenir, il faut que la vie soit belle. Ce que nous produisons Philippe Journo et moi c’est l’essence même du sujet. Nous travaillons tous deux dans l’ordre de l’évidence.

P. J. : On s’amuse beaucoup et on se comprend très vite. Il y a entre nous une vraie complicité professionnelle et humaine. Lui comme moi, nous n’avons jamais cessé de vouloir démocratiser – lui le design, moi les produits immobiliers. Avec une exigence de qualité rare et nécessaire. Tous les deux, nous avons un point commun : on agace, on pense « out of the box », on arrive là où on ne nous attend pas. Et on reste insaisissables, animés d’une forme de recherche de liberté. Nous avons les mêmes méthodes de travail : pas de chichis, aller à l’essentiel et penser aux gens en essayant de leur faire plaisir, de les valoriser. Je suis convaincu que l’on peut parler d’une véritable philosophie.

« La France compte de grands designers, mais Starck figure tout en haut comme Nouvel est inscrit à mon panthéon des architectes »


— Philippe Journo

ii : Quel est le style Starck/Journo ?

P. S. : Clairement, je suis un inventeur et même un inventeur-explorateur. L’un de mes secrets, c’est que je ne dessine pas un projet pour moi mais pour l’autre, donc je travaille comme un réalisateur de cinéma, j’écris un script. Un immeuble, un restaurant, un hôtel pour moi, c’est un film. Je me projette le film, me place dans les yeux des spectateurs. Que vont-ils ressentir ? Que vont-ils en retirer pour eux ? C’est essentiellement mon travail. Je ne m’occupe absolument pas d’histoire de mode, de culture et d’esthétique, je m’occupe seulement de la logique. 

Je suis légèrement autiste, je ne parle pas beaucoup, avec ma femme nous vivons reclus. Comme je ne sors pas et que je ne fréquente pas les endroits où les gens parlent et souvent se répètent, je ne répète pas la même chose qu’eux. Je suis tous les matins devant ma table, avec ma feuille blanche et il n’y a que moi pour répondre. Cette solitude me permet un pouvoir de gestion de la concentration extrême et de travailler efficacement en très peu de temps. Quand on sent que l’on a le sens profond du sujet, qui est immatériel, il faut l’imprimer le plus vite possible. Pour résumer, quand vous êtes autiste, intuitif, absolument pas vénalisé et que vous vivez au milieu de nulle part, évidemment que vous sortez des produits originaux, sans cela il y aurait un problème.

P. J. : Je me définis comme un disruptif, comme un casseur de codes. Mais mon sujet, ce n’est pas d’être différent pour être différent. C’est apporter quelque chose quelque part, avec l’ambition de faire mieux, de trouver un sens. Le style Journo, c’est d’ailleurs penser au sens avant de penser aux mètres carrés, ce qui se traduit par des écritures architecturales nécessairement différentes. On me reconnaît volontiers la vertu d’avoir cassé les codes dans le commerce de périphérie. Mais une de mes plus grandes fiertés, elle me vient de mes compétiteurs qui, à chaque concours, rehaussent le niveau de jeu. 

Quand je recrute de nouvelles têtes, je leur dis que je veux construire la France de demain.

« Nous n’avons pas de théorie établie. On sait ce que l’on veut construire, ce dont on a besoin 
et comment on va 
y arriver »


— Philippe Starck

ii : Vous êtes plutôt Meurice, Mama Shelter ou… Hilton ?

P. S. : Par philosophie, je ne suis pas un adepte du luxe. L’idée du palace n’est pas mon genre. J’ai évidemment fait des choses très intéressantes, comme avec les Mama Shelter, par exemple, et d’autres projets en cours. Donner du respect, de l’honnêteté, un bon service et de l’amitié pour un prix juste : c’est non seulement mon sujet, mais c’est aussi celui de la démocratisation de la qualité.
Un hôtel comme celui que l’on fait avec Philippe Journo, c’est avant tout une combinaison de qualité et d’intelligence, et évidemment, le tout baigne dans une ambiance poétique, car la poésie est la plus belle chose du monde. Je crois que cela va être un de mes plus beaux hôtels tant il est minimalisé : il est tellement à l’os et dans le centre du sujet que l’on pourrait presque dire qu’il est dématérialisé. Les espaces y sont puissants et émouvants, je pense notamment au bar. En haut, ce sera l’endroit le plus charmant de Paris. Entre les deux niveaux d’espaces communs – au rez-de-chaussée et sur le toit, – les chambres ont l’élégance de l’intelligence.

P. J. : L’hôtel idéal, il est simplement fonction du moment et du lieu. À Miami, c’est le One Hôtel. À New York, c’est le Baccarat. À Bali, c’est dans la jungle. À Los Angeles, c’est le Mama Shelter. Notre Hilton sera à la fois un hôtel business et un lieu offert aux habitants du 7e. Il sera authentique, chaleureux, chic, accueillant. Cet Hilton, il cassera à sa manière les codes de l’hôtellerie d’affaires.

« Lui comme moi, nous n’avons jamais cessé de vouloir démocratiser – lui le design, moi les produits immobiliers »

— Philippe Journo