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Patrick Jouin & Alain Taravella

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Ils se ressemblent par leur discrétion, bien que figures emblématiques de leur domaine respectif. Et se rassemblent autour de projets d’envergure, dont le réaménagement du plus ancien centre commercial de l’Hexagone, Cap3000 à Nice… Interview croisée entre Alain Taravella, président fondateur d’Altarea Cogedim, « premier développeur immobilier de France », et Patrick Jouin (agence Jouin Manku), designer exposé à travers le monde.

in interiors : Que vous inspire le travail de l’autre ?

Alain Taravella : Je connaissais le travail de Patrick Jouin qui est aujourd’hui un des grands designers contemporains. Il a cette capacité à penser l’image d’un lieu en l’inscrivant dans la modernité tout en respectant son identité propre. Chacun de ses projets est unique, avec un traitement plutôt haut de gamme. Et c’est ce que nous recherchons. Il sait aussi bien transformer la gare Montparnasse en en faisant un espace lumineux, confortable et pensé pour les usagers que notre centre commercial Cap3000 en le rénovant avec une approche premium. Il ne crée pas simplement des lieux publics. Il crée des lieux au service du public. À chaque fois, il fait du design qui apporte intelligence, esthétisme et confort à nos clients.

Patrick Jouin : C’est surtout le travail d’Altarea que je connais. Premièrement, au travers de l’opération menée à leurs côtés sur la gare Montparnasse. L’univers du centre commercial nous était inconnu à l’agence, étant plus coutumiers des boutiques de luxe, à l’image de ce que nous avons réalisé pour Van Cleef & Arpels (groupe Richemont), ou encore des espaces de restauration et des hôtels. En revanche, nous maîtrisons bien la conception liée à l’espace public, à plus ou moins grande échelle, pour avoir notamment élaboré la charte architecturale de l’extension de la ligne 11 du métro pour la RATP et l’ensemble des éléments disposés à l’intérieur des gares pour la Société du Grand Paris. Or, ces différentes échelles se rencontrent de manière évidente dans les lieux créés par Altarea. Intégrant toute une part de compréhension de marché, d’intuition et d’investissement… avec une part de risque évidemment forte.

« Chez Altarea Cogedim, nous voulons marquer notre différence par la signature 
de nos réalisations »


— Alain Taravella

ii : Quelle est l’histoire de votre rencontre ?

AT : J’ai rencontré Patrick Jouin au moment de l’appel d’offres sur la gare Montparnasse. Nous voulions complètement changer l’image de la gare, l’inscrire dans la modernité, en faire un espace à vivre accueillant tout en doublant sa surface commerciale. L’expertise de Patrick Jouin sur des équipements publics, sa capacité avec Sanjit Manku à penser les lieux autrement avec une écriture nous a séduits. Et le jury de Gares & Connexions aussi ! Nous avons poursuivi notre collaboration sur Cap3000, tout d’abord sur la restructuration du centre existant et aujourd’hui, sur son extension.

PJ : Mon projet de diplôme portait sur la gare, la question de l’attente et ce qui se passe durant ce moment particulier où nous sommes entre deux actions. Il s’avère que nous regardons les choses autrement, nous sommes plus sensibles à ce qui nous entoure, c’est donc le juste moment pour s’émouvoir. Alors, quand Altarea nous a offert l’opportunité de travailler sur la gare Montparnasse, Sanjit (Manku) et moi étions ravis. D’autant que notre groupement a été désigné lauréat. Je pense que Gare & Connexions a été sensible au fait qu’il y ait un designer impliqué sur le projet ; qui plus est, un non-spécialiste de ce type d’espaces pour apporter une vision nouvelle.

ii : Quelle sera l’identité du nouveau Cap3000 ?

AT : D’un centre introverti, nous allons en faire un centre de nouvelle génération, ouvert sur la mer, avec des restaurants en bord de plage, plus de 300 boutiques, des services, ainsi que la création du Corso, un mail luxe dédié aux grandes maisons et à une clientèle touristique. Notre ambition est de faire de ce centre mythique le premier centre commercial de la Côte d’Azur. Il aura une identité qui associe l’ancrage local – que ce soit dans le choix des matériaux et l’inspiration du design – et la dimension internationale. Cap3000 sera plus que jamais un centre de vie qui allie commerce, loisirs, promenade, un centre où le design sera au service du bien-être. On parle souvent d’expérience dans les centres commerciaux. Celle de Cap3000 sera plus que jamais unique ! Et Patrick Jouin a su jouer la complémentarité avec le cabinet d’architecture groupe-6 pour y créer cette nouvelle identité.

PJ : Il s’agissait pour nous de rentrer dans le projet dessiné par l’architecte Mark Wilson de groupe-6 et ses équipes. Inspiré par son décor exceptionnel et par l’idée de croisement de l’eau douce et de l’eau salée, puisque le centre se situe à l’embouchure du Var et face à la Méditerranée. Donc la nature, cette présence de l’eau et la manière dont elle circule à l’extérieur…, toute cette poésie entre dans le projet architectural. Et nous intervenons pour poursuivre son geste. Ainsi, les gravillons présents au fond du fleuve ont été réutilisés pour faire le sol ; le sable est réemployé dans le ciment ; les sillons creusés par l’eau deviennent des éléments de décor… afin de donner envie aux visiteurs de se déplacer, d’être portés par le courant. 
Par ailleurs, nous réintroduisons la lumière naturelle, en jouant également avec les ombres et les nuances de bleu ; et insérons tout un panel de matières habituellement utilisées en extérieur à l’intérieur : du bois que l’on peut retrouver sur les pontons des bateaux, un mobilier minéral en béton et en tissu, etc. Enfin, nous venons rythmer les espaces avec des lampadaires comme pour retrouver une urbanité. C’est aussi l’esprit recherché pour le Corso où se concentrent les boutiques chic du centre, semblable à la Galleria Vittorio Emanuele II, à Milan. En sachant que Cap3000 est le plus ancien centre commercial français et que, pour les Niçois, il fait partie de leur culture, de la ville.

« Sur Cap3000, nous avons poussé le dessin très loin. Sachant que nous inventons tout de A à Z »


— Patrick Jouin

ii : Comment le design sert-il ici les ambitions d’Altarea Cogedim ?

AT : Les centres commerciaux ont été trop longtemps banalisés. Un centre commercial c’est une ambiance, une qualité d’espace et d’offres, ce n’est pas seulement du marbre, des animations et des vitrines. Nous voulons, Chez Altarea Cogedim, nous voulons marquer notre différence par la signature de nos réalisations. Et cela passe par le choix de designers de talent qui vont apporter un supplément d’âme et de valeur à nos réalisations. Avec quelqu’un comme Patrick Jouin, nous partageons l’exigence d’un travail pensé et réalisé dans le détail, toujours unique. À chaque projet, il se réinvente, comme nous. Nous avons la culture du prototype.

PJ : En effet, sur Cap3000, nous avons poussé le dessin très loin. Sachant que nous inventons tout de A à Z : la lumière, les matériaux, le mobilier, la signalétique…, offrant une approche complètement maîtrisée. Particulièrement flagrante pour le Corso notamment, où les enseignes qui y sont installées vendent des objets magnifiques, et donc pour lequel il fallait un espace à leur hauteur, sans donner dans l’ostentatoire. Nous avons alors choisi de quitter l’industrie au profit de l’artisanat, grâce à des lampadaires imaginés avec Aristide Najean, souffleur de verre français installé à Murano. Et de mettre en valeur un savoir-faire, une qualité, une unicité, des imperfections maîtrisées qui sont celles de l’artisan. Car c’est cela la beauté.

ii : Plus généralement, quelle est la place du design dans un projet immobilier ?

AT : Plus que le design, nous parlons d’architecture, qu’elle soit intérieure ou extérieure. J’aime bien cette citation de Le Corbusier qui dit que « l’architecture c’est une tournure d’esprit et non un métier ». Que ce soit en commerces, en logements ou en bureaux, nous « pensons architecture » au service du confort et de l’expérience client. Nous ne nous occupons plus simplement de la coque, mais de la façon d’y vivre et des nouveaux usages. Nous inventons la vie qui va avec !

PJ : En tant que designer, nous venons toujours placer l’être humain au cœur du projet. C’est notre représentation, notre intuition de ce qui lui est nécessaire, de ce qu’il faut lui apporter pour lui rendre la vie meilleure – culture, confort, service, beauté, etc. –, qui dirigent les choses quelque part. Nous ne sommes pas que des stylistes ou des décorateurs qui viendraient mettre une jolie couleur. Loin de là. Nous créons une ambiance dans un but précis. Pour Cap3000, je trouve intéressant de chercher à sortir du rapport commercial binaire. Le commerce fait partie de l’activité humaine, tout comme le besoin d’être ensemble, d’échanger ; il y a un besoin d’espaces dédiés à cela, accompagnés par de l’empathie, de l’efficacité et de la beauté. En face, j’ai quelqu’un qui comprend tout cela et qui le demande. C’est pourquoi nous travaillons ensemble.