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« La nature ne doit pas être un simple élément décoratif »

Défendant l’idée d’une « forestation » urbaine, l’architecte milanais Stefano Boeri pose les jalons d’une architecture vivante. En 2030, 60 % de la population mondiale vivra dans des villes qui, déjà aujourd’hui consomment 75 % des ressources naturelles et sont responsables de 70 % des émissions globales de CO2. Trois questions à Stefano Boeri sur le futur de l’immeuble vivant en 2020, 2050 et 2080 à l’occasion de son exposition « Forêts verticales et métropoles biodiverses » jusqu’à mi-avril prochain au CAUE Rhône Métropole de Lyon.

in interiors : Que représente pour vous un « immeuble vivant » en 2020 ?

Stefano Boeri : Un bâtiment vivant évoque pour moi l’idée, encore minoritaire – mais qui, je l’espère, se généralisera – d’une architecture qui accueille la nature vivante non pas comme un élément décoratif mais comme une présence substantielle des arbres, des arbustes, des plantes, ainsi que d’une faune d’oiseaux et d’insectes. Cette nature qui vit dans le bâtiment comme l’espèce humaine produit une architecture qui apprend enfin à s’adapter aux différentes formes de vie.

ii : Comment se développe cette architecture à l’horizon 2050 ?

SB : Si nous projetons cette même idée en 2050, elle peut nous suggérer un changement d’échelle et le fait que des quartiers entiers seraient constitués par des bâtiments ayant un caractère vivant comme composante fondamentale. Les façades habitées par des éléments biologiques pourront créer un environnement urbain dans lequel nature et artifice, technologie et biodiversité fonctionnent en osmose totale.

Stefano Boeri, Architecte © Gianluca Di Ioia

ii : Dans le prolongement de cette idée, peut-on imaginer des villes vivantes en 2080 ?

SB : En 2080, tout cela pourrait en effet conduire à des villes entières qui seraient en quelque sorte inséparables de la morphologie de la nature. Elles permettraient la survie de notre espèce dans des conditions extrêmes, telles que celles que le changement climatique apportera à de très grandes parties de notre planète. Des villes sous forme de dunes, des villes sous-marines, des villes qui reproduisent les configurations et les ondulations des montagnes Rocheuses… Elles nous mèneront finalement à découvrir que le concept de nature n’est pas « autre » que l’espèce humaine, mais qu’il est quelque chose de profondément inhérent et qui peut être assimilé à la dimension incontrôlable et instinctive qui est en chacun de nous.

Tours-forêts prototypes

Construit à Milan en 2014, le « Bosco Verticale » de Stefano Boeri abrite près de 800 arbres (de 3, 6 ou 9 m de haut), 4 500 arbustes et 15 000 plantes d’une grande diversité, répartis en fonction de l’exposition au soleil de la façade. Colonisées par de nombreux oiseaux et insectes, ces deux tours de 87 m et 116 m de hauteur abritent plus d’une centaine de logements. Tous les quatre mois des « jardiniers volants », à la fois botanistes et alpinistes, entretiennent cet écosystème urbain qui équivaut sur un terrain plat, à une forêt de 20 000 m2 en nombre d’arbres. Ce système végétal contribue à la création d’un microclimat, générant de l’humidité, absorbant le CO2 comme les particules de poussière et produisant de l’oxygène. Plusieurs fois primées, ces tours-forêts sont devenues les prototypes d’une dizaine d’autres projets en cours, de « La Tour des cèdres » (Lausanne, Suisse), au « Trudo » (Eindhoven, Pays-Bas) à « La Forêt blanche » (Villiers-sur-Marne) dans le cadre de l’appel à projets « Inventons la Métropole du Grand Paris ».

Mais ces tours prototypes restent surtout le déclencheur d’une réflexion plus large consacrée au devenir des villes au niveau mondial. Ainsi Stefano Boeri a récemment présenté à la Conférence de Paris sur le climat (COP21), son modèle « Forest City » d’une ville durable (entre Beijing, Tianjin et Hebei, l’une des régions les plus polluées au monde) en mesure d’absorber des tonnes de CO2 et de produire des tonnes d’oxygène. En 2017, le plan directeur de la première « ville forestière » chinoise, a été approuvé par la municipalité de Liuzhou. Bureaux, logements, hôtels, hôpitaux et écoles de cette première ville forestière chinoise seront entièrement recouverts de plantes et d’arbres. Une fois achevée, elle accueillera 30 000 personnes et devrait absorber près de 10 000 t de CO2 et 57 t de polluants par an tout en produisant environ 900 t d’oxygène…