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Jean-Christophe Quinton, architecte : l’expérimentateur

Portrait d’ilustration : © Jean-Christophe Quinton Architecte

Enfant, Jean-Christophe Quinton passait son temps à entraîner ses amis pour construire des bateaux, des radeaux, des cabanes ou encore des maquettes. « C’était une sorte de pulsion d’être au monde, se souvient-il. Et d’expérimenter non pas seul mais avec les autres. » Voici pour les prémices de sa carrière d’architecte, métier qu’il exercera après quelques détours puisqu’il entre d’abord à l’université afin de suivre un enseignement en physique et en mathématiques. Avant les cours, il dessine au tableau des villes entières, jusqu’à ce qu’un jour, pris sur le fait, un professeur lui souffle de devenir architecte. Il commence alors des études à l’école d’architecture de Rennes, dans un bâtiment réalisé par Patrick Berger qui le marque profondément. Il enchaîne avec l’enseignement d’Henri Ciriani à l’école d’architecture de Paris-Belleville. Jean-Christophe Quinton entre dans l’agence de Patrick Berger, avant de s’émanciper en participant à des concours internationaux. De cette expérience, il forge ses convictions en s’appuyant sur les ressources propres à la discipline, transverse par excellence. Ergonomie, calcul, territoire, multiples échelles, paysage, construction, matière forment autant de domaines qu’il expérimente avec un même objectif que lui dicte Hannah Arendt, qu’il cite de mémoire : « Les activités humaines ne peuvent prétendre à l’excellence si on ne leur offre pas le terrain pour s’accomplir. » Pour Jean-Christophe Quinton, l’architecture correspond à une envie de « réfléchir au monde ». Il se demande comment y contribuer, chacun avec ses propres ressources, et apporter des idées qui amènent plus de qualité et d’équilibre. Cette ambition, il la porte en empruntant trois voies – essentielles pour lui – qui soutiennent sa pratique : le dessin, la pédagogie et la recherche.

« Chez moi, le dessin a précédé l’architecture, explique Jean-Christophe Quinton. C’est une expérience permanente de la liberté. Le dessin ne rend de comptes à personne. Il ouvre les possibles, démasque nos a priori, permet de faire toutes les hypothèses sans crainte. Le dessin ne cesse d’aiguiser la sensibilité. » Et cette sensibilité ressurgit dans ses projets en créant des aspérités dans leur mise en forme. Elle lui permet de prendre des décisions plus en adéquation avec le monde. Dans le prolongement de l’agence qu’il a créée en 2004, il enseigne puis devient directeur de l’École nationale supérieure d’architecture de Versailles, fort d’un constat : « J’ai découvert que la culture de projet est ce que les architectes ont de plus précieux. Ils ne la revendiquent pas suffisamment… Nous sommes nourris de sociologie, de philosophie, de technique, d’économie, de dessin, etc. Nous réunissons ces transversalités à travers le projet. Nous répondons à la problématique par le projet, par sa mise en forme que nous partageons ensuite avec les gens. »

Cette culture de projet, qu’il juge comme étant une valeur fondamentale de l’architecture, permet d’appréhender les sujets dans leur complexité. Il l’intègre dans un « doctorat par le projet » pour tisser des liens entre la capacité de conception et tous les lieux de recherche (professionnels, académiques, institutionnels). Haute Agora – qui a fait l’objet d’une exposition au pavillon de l’Arsenal, à Paris – s’inscrit pleinement dans cette démarche. Menée par son agence, le bureau d’ingénierie Bollinger + Grohmann et 100 architectes invités à explorer par le dessin le potentiel d’une grande structure. Constituée de tubes pentagonaux qui forment un réseau ultra-performant, la tour de 700 m de haut est portée par des voiles de béton de 30 cm. Sa structure libère l’espace dans lequel, tels un cadavre exquis, les dessins que les architectes ont imaginés évoquent de nouveaux paysages et milieux – un terme utilisé dans l’architecture équivalant à « usages ». Spatialités surgissantes, modes de vie audacieux, nouvelles civilités, nouvelles relations fictionnelles et fonctionnelles sont autant de complexités auxquelles l’architecture donne forme. « Une forme inattendue qui provoque toujours par son étrangeté une expérience immédiate de l’architecture », ce qui constitue en fait sa valeur intrinsèque.