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« La mixité sociale comme générationnelle est rarement au rendez-vous de l’habitat partagé »

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Élisabeth Pélegrin-Genel est architecte DPLG, urbaniste et psychologue du travail. À travers ses recherches, sa pratique et ses ouvrages, elle étudie les lieux de vie, de travail et de mobilité, à l’heure où la famille et le travail évoluent à grands pas. Elle revient pour in interiors sur l’habitat partagé.

 

in interiors : En France, d’où nous viennent nos modèles d’habitat partagé ?

Élisabeth Pélegrin-Genel : Ils remontent au moins au Moyen Âge, avec la naissance du béguinage, un modèle d’habitats partagés par des femmes de chevaliers partis en croisade, qui ne voulaient ni retourner dans leur famille ni aller au monastère. Elles se dirigeaient alors vers des béguinages qui abritaient des maisonnettes individuelles et une maison commune. Elles adoptaient une vraie vie de couvent – et d’ailleurs l’habitat partagé n’est pas sans rappeler ce mode de vie –, mais avec l’idée de chacune chez soi.

Puis, à chaque époque, on a vu naître de nouvelles formes d’habitat visant à répondre aux besoins de tous ceux qui ne collent pas au modèle de la cellule familiale traditionnelle… On a vu émerger aussi bien des projets de lieu de vie communautaire mêlant espaces privatifs et espaces partagés à destination des personnes âgées, mais aussi de multiples formes de logement communautaire comme d’habitat participatif.

 

ii : Il existe donc plusieurs formes d’habitats partagés ?

ÉPG : Le point de départ est toujours le même : la volonté des personnes de se regrouper, de mutualiser au lieu de gaspiller, et de vivre ensemble. Mais plusieurs solutions ont vu le jour pour répondre à cette attente. Il faut distinguer le logement temporaire, comme le coliving, le logement communautaire, comme l’habitat participatif, qui vise à permettre à un groupe donné de construire ensemble son habitat, ou encore le logement partagé, nouvelle frange de l’offre de logement qui correspond à une nouvelle philosophie de vie.

Mais il y a un écueil : ce sont souvent des gens qui se ressemblent, qui ont le même âge et des situations à peu près semblables, qui partagent le même mode de vie. La mixité sociale comme générationnelle est trop rarement au rendez-vous. Pour réellement sortir de l’entre-soi, il faudra développer davantage de projets mêlant des populations diverses.

 

ii : Vous appelez donc de vos vœux des habitats intégrant davantage de mixité fonctionnelle, sociale, générationnelle… En existe-t-il aujourd’hui ?

ÉPG : Ils sont certes peu nombreux, et nés d’incitatives isolées, mais il en existe malgré tout plusieurs particulièrement exemplaires ! Je pense notamment à ceux de l’association Habitat et Humanisme, à la pointe sur la notion d’entraide, et ses possibles traductions en termes d’offre immobilière. Cette association a notamment donné naissance aux côtés de partenaires de l’immobilier à des habitats alliant logements privés où cohabitent des personnes d’âges et des personnes à faibles revenus (jeunes, familles monoparentales, etc.) et des espaces collectifs (salle commune, jardin, buanderie), le tout animé de bénévoles, avec pour objectif de créer une dynamique de convivialité et de solidarité pour sortir de l’entre-soi. Un point essentiel car, quelle que soit la formule, pour créer du lien, il n’y a pas de secret : il faut que ces lieux soient animés par un médiateur, à l’exemple de ce qui se passe dans le coworking.

 

Photo : © DR