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« Le jour où nous ferons des parpaings en télétravail n’est pas venu »

Dans ce contexte totalement inédit de confinement lié au coronavirus, la rédaction d’in interiors a souhaité donner la parole à des architectes pour savoir comment ils s’organisent, envisagent la question du chantier et l’impact de la pandémie sur leurs pratiques. Entretien avec Frédéric Quevillon qui a fondé il y a 15 ans l’Atelier Aconcept.

 

in interiors : Comment réagissez-vous face au confinement en termes d’organisation du travail avec vos équipes et vos partenaires ?

Frédéric Quevillon : Face au confinement, on a déployé le télétravail dès que c’était possible pour l’ensemble des collaborateurs. Ce n’est cependant pas idéal dans un domaine tel que l’architecture. Rudy Ricciotti disait que l’architecture était un sport de combat, je rajouterais que c’est un sport de combat « collectif » ; on le pratique en équipe, en échangeant, et pas seul avec soi-même devant un écran.

Surtout que je fais face à des partenaires qui ont parfois fait le choix de fermer, comme certains bureaux d’études. Il faut se rendre compte que la construction d’un bâtiment est le produit d’une longue chaîne avec de nombreux acteurs et l’architecte est au centre de tout ça ; si la chaîne se grippe, on s’arrête.

J’étais personnellement favorable à ce que tout le monde s’arrête le temps de l’épidémie. Il fallait l’endiguer en faisant preuve de responsabilité et de solidarité. Certains de mes partenaires ont préféré continuer, il fallait que je suive le mouvement.

 

ii : Êtes-vous favorable à l’arrêt des chantiers ? Ou pensez-vous qu’il est possible de les maintenir dans de bonnes conditions sanitaires, et si oui, lesquelles ?

FQ : Il faut que les chantiers s’arrêtent. Nous n’avons pas le choix, c’est une mesure sanitaire. Ce n’est pas être « défaitiste » et ça n’a rien à voir avec le « civisme », comme semble le penser la ministre du Travail. Il faut ne jamais être allé sur un chantier pour penser qu’il soit possible de rester loin les uns des autres pour y travailler.

Le jour où nous ferons des parpaings en télétravail n’est pas venu. La priorité c’est la santé. Il faut mettre les chantiers entre parenthèses. Plutôt que de débattre sur l’arrêt ou non des chantiers, il aurait fallu débattre sur les modalités d’arrêt des chantiers dans les meilleures conditions de sécurité.

Le discours du gouvernement est paradoxal : il faut rester chez soi, mais il faut travailler. Non !

 

ii : Quelles sont les conséquences pour vous de l’arrêt des chantiers ?

FQ : Le chômage partiel pour ceux qui suivaient les chantiers. Il n’y a pas d’autres choix.

 

ii : Est-ce que ce confinement peut avoir des aspects positifs sur la pratique de votre activité ? Si oui, lesquels ?

FQ : Il y a plusieurs dimensions à prendre en considération. Il est vrai que, à court terme, le télétravail et la mise en standby des chantiers permettent à mes collaborateurs et moi-même de traiter de choses que nous avons souvent moins le temps de réaliser d’habitude. Mais si cela dure plus longtemps, les conséquences dramatiques risquent d’être dramatiques, car l’architecture c’est du physique.

En revanche, sur le plan personnel, le fait d’être chez soi permet de se cultiver, de lire, de se ressourcer pour retrouver l’inspiration. Être dans l’action perpétuelle, c’est aussi subir une inertie qui pousse à l’immobilisme.

 

ii : Quelles seront les conséquences économiques pour vous, à votre avis ?

FQ : Si cela dure longtemps, il y aura des conséquences économiques très importantes : pour les salariés, pour l’entreprise, mais aussi pour les maîtres d’ouvrage. Je travaille beaucoup avec les collectivités et un retard dans la livraison peut impacter l’ensemble des habitants d’une commune. Il faudra donc faire preuve de solidarité, ce qui suppose nécessairement l’action de l’État.

 

ii : Comment imaginez-vous la reprise ?

FQ : Ça va être difficile. Soit nous repartirons comme avant dans la même logique de flux tendus et de stress, soit nous tirerons les conséquences de ce qui s’est passé et nous nous rendrons compte alors que notre modèle ne fonctionnait pas. Il faut arrêter de mettre en avant une urgence permanente dans les livraisons alors que ce n’est pas le cas. J’espère aussi qu’avec cette crise nous apprendrons à retrouver le goût de la solidarité.

 

ii : Avec les crises environnementales que nous avons jusque-là traversées, sanitaire aujourd’hui et économique demain, comment l’architecture et plus largement la ville doivent-elles s’adapter selon vous ?

FQ : Il faut que nous repartions sur de bonnes bases. Remettons les arbres aux centres des villes et limitons la déforestation qui n’est pas sans lien avec la situation que nous vivons. En effet, il est probable que le Covid-19 ait été transmis par les animaux dont les habitats se réduisent à peau de chagrin.

On doit retrouver une vision plus globale, plus logique, plus empirique. Lorsqu’on fait des écoles, par exemple, on veut que tous les extérieurs soient faits en matériaux synthétiques et non plus en terre afin que les enfants ne se salissent pas. Résultat, on imperméabilise les sols…

La question de la densité des villes se pose également. On peut le faire, c’est même nécessaire, mais il faut éviter de combler le vide par des infrastructures. Je n’ai pas de solution miracle, mais je comprends la nécessité d’élaborer un nouveau modèle de ville plus résilient en mettant autour d’une table : les décideurs, les architectes, les urbanistes, les sociologues…

Photo : © Olivier Desaleux