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© Thomas Smith

« Une culture générale et technique va probablement se créer autour des nouveaux modes de travail »

Dans ce contexte totalement inédit de confinement lié au coronavirus, la rédaction d’in interiors a souhaité donner la parole à des architectes pour savoir comment ils s’organisent, envisagent la question du chantier et l’impact de la pandémie sur leur pratique. Entretien avec Olivier Raffaëlli et Guillaume Sibaud de Triptyque Architecture.

 

 in interiors : Comment réagissez-vous face au confinement en termes d’organisation du travail avec vos équipes et vos partenaires ?

Olivier Raffaëlli et Guillaume Sibaud : Nos équipes sont habituées à une organisation de ce type. Triptyque est à l’origine une agence brésilienne. C’est donc dans notre culture d’entreprise de fonctionner de manière dématérialisée. Les outils les plus simples sont les plus efficaces : WhatsApp, Facetime, Hangout, Google Drive. Il faut aussi réaliser des reporting précis de ce qui a été discuté.

On a vécu une situation particulière pour cette première semaine de confinement, la France a subi la vague de ce coronavirus, alors que le Brésil pas encore. Il fallait donc gérer cette différence de situation que nos équipes ont su prendre en compte.

En ce qui concerne nos rapports avec nos partenaires, par contre, nous ne disposons pas encore du recul nécessaire pour savoir si les interactions dématérialisées sont vraiment efficaces. Nous avons quelques retours avec nos bureaux d’études dont la production reste problématique. Nous verrons si nous réussirons à nous adapter.

 

ii : Êtes-vous favorables à l’arrêt des chantiers ? Ou pensez-vous qu’il est possible de les maintenir dans de bonnes conditions sanitaires, et si oui, lesquelles ?

OR et GS : D’un côté entrepreneurial, on aimerait bien que notre activité ne s’arrête pas, mais pour des questions de sécurité sanitaire cela pose de vrais problèmes qu’il est difficile de nier. Dans ce contexte de pandémie, un chantier comporte nécessairement des interactions qui représentent un réel danger.

 

ii : Quelles sont les conséquences pour vous de l’arrêt des chantiers ?

OR et GS : L’arrêt des chantiers a pour nous un impact économique important, car nos honoraires en dépendent. Cela représente aussi une réelle difficulté pour certains de nos projets, car le fil des inaugurations se perd. Prenons par exemple un projet hôtelier que nous réalisons à Paris et dont l’ouverture était prévue avant l’été, un retard de travaux. Ce décalage de temps bouleverse toute une chaîne de responsabilité que nous devons maintenir.

 

ii : Est-ce que ce confinement peut avoir des aspects positifs sur la pratique de votre activité ? Si oui, lesquels ?

OR et GS : Une culture générale et technique va probablement se créer autour des nouveaux modes de travail. Nous pouvons le souhaiter pour une question d’efficacité, de dimensionnement des bureaux si le télétravail se généralise, mais aussi de bilan carbone.

Cet arrêt va nous permettre de réfléchir à notre positionnement stratégique. Nous allons pouvoir de nouveau faire de la recherche fondamentale pour sourcer nos projets, par exemple sur l’énergie positive des bâtiments. Nous allons pouvoir prendre du recul par rapport à la folie de ces dernières années. Cela fait trois à quatre ans que nous sommes plongés dans l’action permanente avec de nombreux concours remportés : Réinventing Cities avec le projet MKNO, Réinventer Paris II avec le projet de la Villa Eastman et d’autres encore. Il était essentiel de marquer une pause.

À l’avenir, il faudra trouver des moyens de créer des temps de vide. Stefan Sagmeister, un célèbre designer new-yorkais fermait son agence pendant un an tous les sept ans. Depuis, il prend même trois mois de pause chaque année. C’est une idée à creuser…

 

ii : Quelles seront les conséquences économiques pour vous, à votre avis ?

OR et GS : Tout va dépendre de la durée de la crise. Nous faisons partie d’une chaîne, donc nous dépendons de l’attitude des maîtres d’ouvrage…

 

ii : Comment imaginez-vous la reprise ?

OR et GS : Pour être franc, ça va être la folie, tous les partenaires vont vouloir tout en même temps et pas seulement en architecture. Tous les secteurs seront touchés.

 

ii : Avec les crises environnementales que nous avons jusque-là traversées, sanitaire aujourd’hui et économique demain, comment l’architecture et plus largement la ville doivent-elles s’adapter selon vous ?

OR et GS : L’approche environnementale aurait plutôt tendance à densifier, à mutualiser les moyens techniques… Et l’approche sanitaire voudrait plutôt éloigner les gens les uns des autres. Comment agir alors ? C’est un réel défi qu’il faudra relever.

Photo : © Thomas Smith