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Mona Chollet : « Chez soi » ou l’aventure entre quatre murs

Pour ceux que la question de la « mise en demeure » imposée par le confinement interroge, c’est probablement l’occasion de lire (ou de relire) le livre Chez soi, une odyssée de l’espace domestique* de l’essayiste et journaliste Mona Chollet publié en 2015. Son accessibilité en ligne gratuitement grâce à l’heureuse initiative des Éditions Zones tombe à point nommé. L’auteur y livre une exploration de ce chez-soi, si cher aux casaniers, si précieux, à y bien réfléchir, si l’on en possède un, comparé à ceux qui n’en ont pas.

Le livre commence ainsi : « Le voyageur ignore s’il reviendra un jour ; le touriste, lui, pense au retour avant même de partir », une réplique de John Malkovich au début d’un Thé au Sahara, film de Bernardo Bertolucci adapté du roman de Paul Bowles en 1990. N’est-ce pas là l’enjeu de ce confinement commencé il y a une quinzaine de jours autrement tourné : est-ce que nous serons changés par cette expérience inédite pour à notre tour changer le monde ?

Certains parlent déjà de déconfinement, faisant toutes sortes de pronostics, se projetant dans l’avenir, appelant de toutes leurs forces (et de toute leur âme) à un retour à avant la crise sanitaire. Et si ce confinement était l’occasion de respirer un peu, d’habiter sa maison, d’habiter le temps qui nous est donné, de se recentrer finalement pour faire différemment face à un quotidien qui était, il faut bien l’avouer, « asphyxié par la disparition de la confiance en l’avenir ». L’auteure avait vu juste : « On lutte contre le pressentiment d’une catastrophe, et la situation écologique empêche même de se raccrocher à l’espoir qu’après un épisode de violence généralisée on pourrait tout recommencer à zéro comme sur une belle page blanche. »

Le foyer, ce lieu de repli, devient alors une base arrière où l’on peut se protéger, reprendre des forces, se souvenir de ses désirs en ayant accès à nous-même autrement. Ne plus être là pour le monde, mais pour soi en tentant, si l’on peut, de se défaire de conditionnements qui entravent notre liberté d’être par les injonctions permanentes à faire, à produire pour remplir le temps. Car c’est bien connu, « le temps, c’est de l’argent ». Pour cela, il faut « se rendre disponible, au lieu de chercher à conjurer la peur du vide et de l’inconnu en les remplissant avec n’importe quoi »…

Ce livre explore aussi la façon dont ce monde que l’on croit fuir revient par la fenêtre. Celle d’internet par exemple. « À écouter les technophobes, sans internet, nous vivrions au paradis. Or la plupart des gens “ne choisissent pas entre une balade à Cape Cod et les réseaux sociaux, mais entre les réseaux sociaux et la télévision”. » Et plus loin : « Non seulement la télévision pollue et stérilise la vie domestique, non seulement elle condamne à la passivité, mais elle laisse seul face à la violence du monde. […] Je préfère que les événements déprimants me parviennent indirectement, sur un réseau social, par le biais de quelqu’un qui partagera ma consternation, plutôt que de les prendre en plein visage en regardant le journal télévisé. »

Le ton est donné, à l’image de cet ouvrage qui interroge en déjouant le sens commun de ce qui nous préoccupe au quotidien pour tenter d’y voir plus clair. Un ouvrage qui bouscule et qui, en cette période plus qu’hasardeuse quant à l’avenir, nous dira au moins si nous sommes aventurier ou touriste de ce voyage totalement imprévu… à la maison.

 

* Mona Chollet, Chez soi. Une odyssée de l’espace domestique, Éditions de La Découverte, Paris, 2016.

 

Photo : © Adobe Stock/Patpitchaya