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Enseignements du travail contraint à distance : le bureau, lieu de vie commun et repère spatio-temporel

Photo la Une : © Jacob Lund / Adobe Stock

Le travail est un objet rythmé avec un début et une fin. Ces bornes sont poreuses : il y a des temps où l’on ne fait que travailler et où l’on cherche à se concentrer ; des temps où l’on travaille tout en s’interrompant pour s’occuper d’autres sujets, parfois personnels ; des temps où l’on n’est pas dans une situation de travail tout en répondant à des sollicitations professionnelles ; et, enfin, des temps non travaillés dits de vie privée. Dans ces derniers, toute sollicitation professionnelle est potentiellement vécue comme une intrusion. On retrouve alors les logiques proxémiques d’Edward T. Hall, avec la nécessaire bulle protectrice de l’intimité.

Ce continuum possède différentes échelles de temporalités : la carrière professionnelle qui commence souvent pendant les études et se finit parfois après la retraite ; l’année avec l’alternance entre temps de travail et temps de congés ; le quotidien avec la question des horaires de travail et du temps de week-end ; ou encore au sein de la journée : les études sur la concentration montrent que nous avons du mal à nous concentrer plus d’une heure !

L’expérience du travail à distance imposée pendant le confinement interroge les rythmes du travail dans la semaine et au quotidien. Nombreux sont ceux qui ont eu le sentiment de ne pas voir de différences entre la semaine et le week-end, d’avoir des journées de travail sans fin, de passer leur journée en visioconférence ou encore de ne pas réussir à dégager suffisamment de temps pour réaliser les tâches de production.

Hypersollicitation, hyperdisponibilité et « blurring » (diminution de la frontière entre vie privée et vie professionnelle) sont quelques-uns des concepts utilisés pour décrire cette situation inédite. Qu’est-ce qui est plutôt imputable au stress engendré par la situation de crise, qu’est-ce qui est plutôt lié au travail à distance et ses conditions particulières ? Les études donneront sûrement des éléments de réponse dans les mois à venir.

Nous pouvons d’ores et déjà retenir deux enseignements de cette expérience inédite. Si elle n’a pas été assez longue pour obtenir de réelles indications sur le télétravail généralisé à long terme, le retour au bureau aujourd’hui souhaité par de nombreuses organisations, la manière dont fonctionnent les entreprises « sans bureaux » et les études scientifiques montrent l’importance de se retrouver à des moments clés pour créer puis entretenir les collectifs. Cela confirme que le bureau possède une vocation de sociabilisation en étant un lieu de vie partagé. Ce besoin se retrouve aussi en comparant les pratiques de réunion à distance pendant le confinement avec les réunions en physiques : alors que les premières finissent à l’heure, les secondes se prolongent. Nombreux disent même que la réunion se fait hors de la réunion, notamment après, en raccompagnant les personnes ou en prolongeant l’échange dans un couloir. On mesure alors ici la valeur du formel et de l’informel avec le même interlocuteur à travers des situations différentes.

Au-delà du vivre-ensemble, le lieu bureau est aussi un repère pour marquer les usages. Dans nos enquêtes sur le retour au bureau, un frein souvent évoqué est le temps de transport. Il n’en reste pas moins que ce temps est un sas, un entre-deux qui facilite la transition du monde professionnel au monde personnel. De plus, en prenant place dans différents endroits, le continuum d’activité tend à se scinder. En changeant de lieu, nous contribuons à extirper une dimension de l’autre. Différentes enquêtes montrent que ceux qui ont pu travailler dans une pièce dédiée pendant le confinement ont mieux évalué la période que ceux qui n’avaient pas de lieu dédié, et ceci pour toutes les tranches d’âges — y compris celles qui n’ont pas d’enfants à charge. Enfin, ces besoins de repères varient selon la nature des missions associées aux collaborateurs. Ainsi, l’étude menée par la chaire Workplace de l’Essec montre que les cadres souhaitent plus, en moyenne, faire du télétravail que les employés. Dans le même temps, les employés souhaitent plus être en télétravail à temps complet que les cadres.

Ces spécificités, qui sont un exemple parmi d’autres, soulignent les différents besoins selon les profils d’utilisateurs. Le bureau de demain pourra répondre à leurs différents besoins de sociabilité et de repères si la réflexion commence par une compréhension fine de qui ils sont.


Marc Bertier © Kardham

Marc Bertier est expert workplace au sein du groupe Kardham. Il accompagne les utilisateurs dans leur réflexion sur les environnements de travail depuis la définition des besoins et des enjeux stratégiques jusqu’à la livraison et l’animation du site. Les synergies entre les métiers du groupe Kardham lui permettent de participer à une approche globale du projet : pilotage, conception, réalisation, digital, service, accompagnement au changement.