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Caroline Fortier & Emmanuel Person

Elle est directrice générale de Sogeprom, lui est architecte associé de l’agence Brénac & Gonzalez. Une première rencontre avec l’appel à projets urbains innovants Inventer Bruneseau, puis une deuxième avec le concours du lot 2 de Chapelle International, un programme phare du Grand Paris. Des valeurs communes et une vision partagée par le duo… Caroline Fortier et Emmanuel Person. Preuves à l’appui avec un projet qui interroge la ville et notre manière de l’habiter…

Une rencontre

Caroline Fortier : Je connais Emmanuel depuis quelques années déjà. Nous avons notamment vécu ensemble une aventure formidable lors de la consultation de Bruneseau, qui posait déjà la question de la densité et de la hauteur à Paris. Sujet qui a alimenté de nombreux échanges passionnés et passionnants entre nous ! Ce fut donc un véritable plaisir de le retrouver sur ce projet. Pour moi, l’agence Brénac & Gonzalez est le Platon de l’architecture ! Il répond aux idéaux du philosophe en faisant du « vrai » (grâce à ses compétences techniques), du « bien » (en portant des projets utiles) et du « beau » (par la qualité de son geste architectural). Tout cela se devant aussi d’être abordable, comme le rappelait le philosophe. Et c’était aussi tout l’enjeu pour nous…

Emmanuel Person : Si la vie professionnelle est jalonnée de rencontres circonstancielles, nous vivons parfois également de « véritables rencontres » : deux personnes qui se trouvent autour de valeurs communes, créant ainsi de nouvelles perspectives. C’est ce qui s’est produit avec Caroline. Abordable, brillante, efficace, déterminée, Caroline fait partie de cette nouvelle génération de promoteurs décomplexés, porteuse d’une vision qui interroge la ville et notre manière de l’habiter. Pour elle, l’architecture n’est pas juste une question de produit ou de marge. Notre richesse est de pouvoir échanger librement et respectueusement sur des problématiques politiques, sociétales, culturelles… Nous avons dépassé le rapport « commanditaire-prestataire ».  On pourrait presque dire que nous nous sommes choisis.

Des ambitions

CF : Inscrites dans le projet ambitieux de Chapelle International porté par SNCF Immobilier, nos deux tours de 16 étages – juste sous la barre des 50 m – répondent au nouvel enjeu de la verticalité des constructions métropolitaines, en proposant une densité désirable. Le challenge n’est pas simple, surtout dans ce quartier qui ne jouit pas de la meilleure réputation, mais la transformation totale de ce secteur tend à développer un véritable morceau d’urbanité où il fera bon vivre, travailler, se divertir…  De quoi séduire un public d’acheteurs diversifié – les logements à vendre allant du studio au cinq pièces en duplex – et ainsi apporter une véritable mixité sociale sur ce territoire constitué à presque 80 % de logements sociaux.

EP : Avec la raréfaction du foncier et le dumping des charges foncières dans Paris intra-muros, l’émergence de ce nouveau quartier est une étape importante pour la mutation du nord de Paris. La maîtrise des infrastructures et l’aménagement des espaces publics vont complètement modifier la qualité de vie, et les habitants historiques du quartier sont d’ailleurs très engagés dans le projet. Le projet urbain développé par l’AUC revendique une mutation à partir du déjà-là, à savoir un ensemble morose de tours de logements issues des années 1970. Le secteur Chapelle international articule ainsi un travail de couture urbaine en venant prolonger cet urbanisme pointilliste avec des émergences parmi les premières tours de 50 m dans Paris intra-muros qui apportent de la densité tout en faisant quartier avec un socle d’activité articulé à des espaces collectifs de rencontres. Voilà qui pourrait bien constituer le nouvel ordre haussmannien !

Trois échelles pour prendre de la hauteur

EP : On note ici la complémentarité des trois échelles de la ville moderne. La première est celle du piéton, l’échelle domestique qui permet de dynamiser et sécuriser les espaces publics par le flux et la programmation. Cette première strate fabrique le petit skyline du quartier. La seconde échelle est celle de la ville haussmannienne avec son vélum à 28 m marquant un registre particulier dans la composition de la verticalité des tours, où l’on retrouve une logique de balcons filants qui reprennent les codes de la ville historique. La troisième échelle, avec la grande hauteur à 50 m, dialogue avec le territoire et participe au nouveau skyline métropolitain.

CF : Historiquement, les bâtiments parisiens s’élèvent à 28 m. Aujourd’hui, la nécessaire densité fait se questionner. Si l’on souhaite éviter l’étalement, alors il faudra faire le pari de la hauteur… On voit ainsi s’esquisser au sein de la capitale de nouveaux standards. Des projets comme Charenton, Brunesaeau, Batignolles, etc. misent sur des émergences à 50 m. C’est ce pour quoi nous avons opté également, une densité paisible, au sein d’un quartier aéré et bien loin de la minéralité absolue de bon nombre de secteurs actuels. Des tours de 50 m misant sur la qualité de vie, la convivialité… Et la vue !

Vues à vendre

CF : Le quartier s’ouvre de manière privilégiée face au jardin public tout en profitant d’un dégagement visuel rare à Paris résultant de la largeur du réseau ferré. Se trouvant tous à plus de 7 m, les logements bénéficient d’une vue imprenable et d’un ensoleillement maximal. En point de mire, les habitants pourront admirer la butte Montmartre, le Sacré-Cœur et une belle partie du Grand Paris.

EP : Au départ, Espaces ferroviaires et la Ville de Paris imaginaient un front de bureaux le long des chemins de fer, abritant un quartier constitué des logements de petite hauteur. Mais l’agence d’urbanisme l’AUC a su les convaincre avec un tout autre projet, misant sur la principale richesse de ce secteur : une vue imprenable sur Paris intra-muros ! Pour la préserver, l’AUC a sanctuarisé l’espace vide le long des voies et réorganisé la densité de ce site enclavé en créant des émergences à 50 m. Nous avons orienté nos deux tours à 45° l’une par rapport à l’autre, afin d’éviter tout vis-à-vis frontal tout en maximisant l’ensoleillement et en offrant des vues exceptionnelles, comme nous l’avons évoqué.

Un socle dynamique

CF : Notre obsession commune est l’utilisateur. C’est donc avec pour ambition d’améliorer la qualité de vie des usagers que le socle a été pensé. Les habitants du quartier y profiteront d’un environnement verdoyant avec accès immédiat aux commerces, à la crèche et à l’école, à la ferme urbaine et aux terrains de sports… Par ailleurs, les « Soho » en pied d’immeuble participeront pleinement au dynamisme et à l’attractivité du quartier. Acronyme de Small Office Home Office (littéralement : « petit bureau à domicile »), un Soho est un aménagement novateur qui permet de faire cohabiter des espaces de travail (bureau, atelier, etc.) et des logements. Adaptés aux besoins des artisans, créateurs, TPE ou indépendants, ces Soho s’inspirent des ateliers où les artistes vivent et créent leurs œuvres ou encore des installations de bon nombre de professionnels libéraux et artisans. Adapté à tous les profils professionnels et familiaux, le projet offre des espaces de travail de 15 à 75 m2 et des logements du studio au T5. Et afin de donner les meilleurs outils aux locataires des lieux, trois de ces SOHO peuvent recevoir du public. Une salle de réunions de 173 m2 est également mise à la disposition des occupants. Il s’agit de la première offre immobilière neuve permettant de vivre là où l’on travaille !

EP : La Régie immobilière de la ville de Paris (RIVP), qui assure la commercialisation et la gestion de ces Soho, a tenu à pouvoir les vendre indépendamment des logements en cas de besoin. Nous avons donc imaginé une « dalle fusible », c’est-à-dire très facilement cassable pour faire place à un escalier, déjà dessiné. Pour une somme très modique, les futurs propriétaires pourront demander à ce que la dalle soit conservée, ou au contraire à ce que l’accès à leur logement soit établi.

Je suis convaincu que ce modèle va prendre un essor fou ! Il a fallu deux ans pour convaincre la Ville, et la RIVP a encore besoin de se sécuriser. Mais avec toutes les évolutions d’usage en cours, nul doute que cette offre trouvera son public. Le confinement que nous venons tous de vivre n’a fait que confirmer la nécessité de renouer avec une ville à échelle humaine, proposant toutes les facilités en une seule et même unité de lieu.

Intensifier la valeur d’usage

CF : C’est aussi pour rendre la vie de l’utilisateur plus agréable que nous avons pensé la partie haute du projet. Ainsi, nous avons prévu des entrées côté rue pour les Soho afin de dynamiser le quartier, et l’accès à la partie logement se fait depuis une rue intérieure plantée, pensée comme une cour faubourienne et desservie par de larges coursives-balcons envisagées comme des lieux de vie extérieurs. Ces rues intérieures éclairées naturellement et largement dimensionnées donnent sur des terrasses partagées. Les parties communes sont ainsi envisagées comme des espaces de convivialité appropriables qui permettent une vie d’étage, à la manière des vestibules des grandes demeures bourgeoises.

EP : Ce qui rend le quartier Chapelle International désirable au-delà de sa capacité à proposer un nouveau modèle de tours à l’intérieur même de Paris, c’est l’exceptionnelle qualité de vie proposée par tous ses logements. Les ouvertures généreuses, les loggias cachées derrière la façade, les portes en bois vitrées jusqu’au sol, la cour intérieure pensée comme un lieu de vie et de partage – avec son terrain de pétanque, son grand vestibule où l’on peut ranger sa trottinette, sa poussette, etc. –, les balcons filants (au-dessous de 28 m) et les loggias à l’abri du vent (au-dessus de 28 m), les balcons où l’on peut déjeuner, équipés de jardinières intégrées, qui sont proposés dans tous les grands appartements ou encore les terrasses d’étage partagées… tout cela crée un lien avec l’extérieur et le végétal, mais aussi de bonnes conditions de voisinage ! À l’heure où le prix de l’immobilier parisien ne permet plus de réinjecter de l’espace dans les logements, nous avons pour rôle d’intensifier la valeur d’usage de chaque mètre carré et de proposer des espaces communs toujours plus accueillants. Pas complètement méditerranéen, mais pas du tout nordique… Paris réinvente son style de vie.

« Notre obsession commune
est l’utilisateur »

Caroline Fortier - © Carole Desheulles pour in interiors

« Nous avons pour rôle d’intensifier la valeur d’usage de chaque mètre carré »

Emmanuel Person - © Carole Desheulles pour in interiors

Leur projet commun

L’agence Brenac & Gonzalez a été missionnée pour la tour E1 Green Line et l’agence MOA pour la tour E2 Exo qui composent le Lot E, premier programme construit de la Chapelle International. Pour en savoir plus sur le projet, retrouvez notre article consacré ici.

© Carole Desheulles pour in interiors

Leurs bios

Caroline Fortier

Diplômes de l’École spéciale des travaux publics (ESTP), de l’Institut d’études économiques et juridiques appliquées à la construction et à l’habitat, de l’Institut d’études politiques de Paris et de l’Insead, Institut européen d’administration des affaires, en poche, Caroline Fortier démarre sa carrière en 1991 à la Caisse des dépôts et consignations. Elle y occupe durant 15 ans différents postes, dont celui de directrice régionale Basse-Normandie. En 2006, elle monte les échelons en intégrant le groupe Financière Duval en tant que directrice générale adjointe Groupe et directrice générale Pôle Activités immobilières et Golfs. En 2016, elle investit le poste de directrice générale déléguée du groupe Rabot Dutilleul. Deux ans plus tard, en 2018, elle est promue directrice générale du groupe Sogeprom, filiale de promotion immobilière de la Société générale, présente depuis plus de 45 ans sur l’ensemble du territoire français et des marchés de l’immobilier : logements, hôtels, résidences services, bureaux, parcs d’activités tertiaires, commerces, projets urbains mixtes.

Emmanuel Person

Emmanuel Person est diplômé de l’École de Paris Belleville en 1998, mais sa collaboration à l’agence Brénac & Gonzalez débute alors qu’il est encore étudiant. En 1997, il devient associé et directeur d’agence, poste qu’il occupe encore à ce jour.

Son diplôme questionne le rôle de l’architecture dans le rapport au sacré au travers des écrits de Nietzsche. Il en garde « une philosophie du doute ». L’architecture du quotidien, l’exploration de l’espace domestique et la combinatoire des assemblages le passionnent depuis toujours. À ce titre, la pratique des macro-lots le conduit à franchir la porte du projet urbain. Une problématique qui occupe aujourd’hui une grande partie de son activité avec le souci permanent d’une activation de l’espace urbain par la mise en œuvre de processus de conception liés aux situations. Emmanuel Person est également enseignant à l’École nationale d’architecture de Paris La Villette.

Interview issue du numéro 11 d’in interiors. Pour accéder à la version digitale de la revue, cliquez ici.