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« Les bâtiments sains, une arme dans la lutte contre les pandémies »

Photo à la Une : les bureaux de la Manufacture Design, à Saint-Ouen, vitrine du savoir-faire de l’agence d’architecture intérieure Saguez & Partners, utilisent des matériaux sains et font la part belle au bien-être des collaborateurs – © Saguez & Partners | Manufacture Design

Si au cours des 200 000 dernières années, Homo sapiens était principalement une espèce de chasseurs-cueilleurs vivant à l’extérieur, les humains d’aujourd’hui passent en moyenne plus de 90 % de leur vie à l’intérieur, selon de récentes études. Dans ce contexte, et en pleine pandémie virale de Covid-19, la question des bâtiments sains devient fondamentale. Une problématique sur laquelle revient, pour in interiors, le docteur Joseph G. Allen, professeur à l’Université Harvard et auteur du livre Healthy Buildings: How Indoor Spaces Drive Performance and Productivity.

© DR

in interiors : Quelle est votre définition d’un bâtiment sain ?

Dr Joseph G. Allen : À l’échelle du bâtiment entier, de nombreux critères entrent en compte pour assurer un environnement sain. De même que pour l’équilibre de la santé humaine, de nombreux paramètres interagissent. Cela comprend notamment la ventilation et la qualité de l’air, de l’eau, l’exposition à la poussière, aux parasites, à l’humidité et la chaleur, mais cela comprend aussi la sûreté et la sécurité, la qualité acoustique, ou encore la luminosité, tous des paramètres essentiels. Choisir les bons matériaux lors de la construction comme de l’aménagement s’avère également fondamental. Une mauvaise association de produits ou matériaux peut très rapidement rendre un bâtiment malsain, aussi bien conçu soit-il par ailleurs. Revêtement, colle, mobilier, peinture… Enfin, la façon de penser la vie au sein et en dehors du bâtiment apparaît comme un facteur primordial quant à la santé des utilisateurs. Son accessibilité dans la ville, mais également l’accès à des salles de bien-être, détente et fitness… des éléments importants pour assurer la santé des usagers. Si l’ensemble de ces indicateurs passe au vert, alors le bâtiment offre à ses utilisateurs un environnement sain.

ii : Quelles sont les conséquences potentielles d’un bâtiment malsain sur la santé de ses occupants ?

JGA : Un bâtiment malsain fait courir à ses usagers des risques divers : une chute de la concentration, des maux de tête, des dérèglements hormonaux, voire même des maladies chroniques ou des cancers… Une analyse des données relatives aux congés maladie de plus de 3 000 travailleurs dans 40 bâtiments aux États-Unis, réalisée par nos équipes, a par exemple révélé que 57 % des congés maladie étaient imputables à une mauvaise ventilation. Par ailleurs, les employés signalaient davantage de maux de tête et travaillaient 6,5 % plus lentement dans un bureau confronté à une source de pollution.

ii : Et à l’inverse, quelles vertus revêt un bâtiment considéré comme sain ?

JGA : Un bâtiment sain joue sur la capacité de ses occupants à se concentrer, contribue à améliorer leurs fonctions cognitives et leurs performances, tout en réduisant de manière significative les maux de tête à répétition et le niveau d’absentéisme. La présence et l’accès à la nature, avec des vues agréables, comptent aussi. On note alors que les jeunes adultes travaillant dans un bureau connecté avec l’extérieur présentent une pression artérielle plus basse, un rythme cardiaque plus faible et de meilleures performances aux tests de mémoire à court terme. D’autre part, et particulièrement dans la période actuelle, un bâtiment sain peut tendre à réduire la propagation de virus ou maladies. À l’intérieur de ces espaces, il existe de nombreuses « petites » adaptations réalisables pour y parvenir. Par exemple, installer des ascenseurs, des éviers, des chasses d’eau, des portiques… sans contact. Évidemment, cela passe aussi par une désinfection rigoureuse des espaces de travail.

ii : Le secteur immobilier est-il prêt à s’orienter vers des bâtiments plus sains ? Comment la France se situe-t-elle dans ce domaine ?

JGA : Aussi surprenant que cela puisse paraître, cela fait près de 40 ans que nous ne construisons pas des bâtiments pour leurs occupants et que la santé ne s’avérait pas une priorité. Ainsi, si ces dernières années l’accent a été mis sur l’éclairage et l’isolation acoustique pour améliorer les espaces de travail, l’impact de l’humidité, de la température, des meubles choisis, des peintures ou même de l’hygiène sur la santé des employés est en revanche passé complètement inaperçu. Toutefois, avec la crise du Covid-19, le monde entier semble se rendre compte de la sous-performance des bâtiments en la matière, car le risque d’être infecté par le virus s’accroît au sein des bâtiments. Les patrons cherchent aujourd’hui à attirer de nouveaux talents dans leurs entreprises, mais également à améliorer les performances des employés existants et à les faire revenir au bureau. Pour cela, un immeuble sain se révèle indispensable et l’industrie immobilière semble l’avoir compris. Entre prises de conscience écologique et sanitaire, les bâtiments sains possèdent un bel avenir devant eux, et ce sera d’autant plus vrai s’ils deviennent des armes dans la lutte contre de futures pandémies.


Interview issue du n°14 d’in interiors. Pour le découvrir dans son intégralité, cliquez ici.