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50 Montaigne / Guillaume Canciani, Julien Rousseau & Ramy Fischler

Guillaume Canciani, directeur du développement de Chelsfield, Julien Rousseau, architecte associé chez Fresh Architectures, et Ramy Fischler, designer chez RF Studio, ont uni leurs forces pour réhabiliter 12 500 m2 de bureaux, du gros œuvre au choix du mobilier, le tout au cœur du Triangle d’or. Relever un tel défi pour la prestigieuse adresse du 50 Montaigne aura pris six ans. Résultat, des espaces de bureaux inspirés des codes de l’hôtellerie et du coworking, qui veillent surtout au bien-être des futurs occupants.

Une rencontre

Guillaume Canciani : L’histoire du 50 Montaigne a débuté entre 2014 et 2015. Après avoir été mandatés pour le redéveloppement de l’actif par le propriétaire Olayan, nous avons appelé plusieurs jeunes architectes de talent pour les inviter à réfléchir aux chemins que pourrait emprunter l’immeuble. Rapidement, Chelsfield a décidé de collaborer avec Julien Rousseau, à la fois sur le 54 et sur le 50 Montaigne. Puis, une fois la conception architecturale bien avancée, nous avons décidé avec lui de lancer un concours auprès de décorateurs pour que le projet se voit enrichi d’une vision supplémentaire. J’avais déjà collaboré avec Ramy Fischler par le passé pour aménager un hôtel de luxe situé au 150 avenue des Champs-Élysées, non loin de là, et c’est lui que nous avons choisi. J’apprécie énormément, côté architecte comme côté designer, la très large palette de leur travail. Ce ne sont pas des spécialistes. Pas au sens où ils ne savent pas faire, au contraire ! Mais ils ne se cantonnent pas à une classe d’actifs en particulier. Julien et Ramy ont ainsi pu apporter au sein de ce projet tertiaire un peu des univers du résidentiel, du retail et de l’hôtellerie. Le résultat est surprenant, exactement ce que nous recherchions.

Julien Rousseau : Très tôt, avec les équipes de Chelsfield, nous avons voulu remodeler entièrement cet « objet » pour le transformer en bureaux nouvelle génération. Guillaume est arrivé ensuite, apportant un souffle programmatique très fort et défendant des partis pris intéressants et complémentaires , ne serait-ce que l’implantation sur une partie du rooftop d’un acteur de l’agriculture urbaine (Sous les fraises, ndlr). En retenant Ramy pour aménager l’intérieur des espaces, notre choix dépassait largement le cadre de la seule décoration des lieux. Nous attendions de lui et son studio des réponses à la question centrale de l’usage que Fresh avait initiée, notamment pour qu’ils apportent du sens au vaste hall du 50 Montaigne, bien au-delà du champ traditionnel de la décoration, c’est-à-dire les couleurs et le mobilier. Il a fallu à mon équipe beaucoup d’endurance et de ténacité pour maintenir le cap d’un tel projet étalé sur six années, tout en sachant ajouter, par itération, les compétences de chacun.

Ramy Fischler : Je suis donc le dernier arrivé, naturellement ! Il est vrai que notre métier au sein de RF Studio touche davantage au design qu’à la décoration. Nous embrassons plus largement le projet. Depuis quelques années, nous sommes de plus en plus sollicités pour apporter notre expertise sur des programmes immobiliers destinés au monde du travail. Les actifs tertiaires sont les derniers à s’être hybridés, et on sent bien que les acteurs du bureau mettent les bouchées doubles aujourd’hui pour réduire ce décalage avec un monde qui change. Chelsfield peut se féliciter d’avoir été plutôt à l’initiative en nourrissant ce genre de réflexion pour le 50 Montaigne dès 2015.

Un projet

JR : Cet immeuble a connu par le passé de nombreuses vies très différentes. D’abord hôtel particulier, il a été démonté pierre par pierre pour être rehaussé et accueillir des commerces. Il a renfermé également des usines de l’industriel Philips, ce qui explique d’ailleurs sa volumétrie en accordéon. L’une de nos premières idées a été d’intégrer de la végétation. De créer une sorte d’oasis au milieu de ce 8e arrondissement plutôt minéral. Résultat, ce sont près de 1 800 m2 de plancher qui sont recouverts d’arbres et de plantes, avec une terrasse à chaque niveau, jusqu’à la ferme urbaine et sa végétation luxuriante sur le toit. Placez-vous face à l’immeuble : si vous clignez des yeux, vous n’y verrez que du vert ! Sans même savoir que ce virus allait nous tomber dessus, nous avions en quelque sorte anticipé les conséquences de la pandémie. Il y a une part expérientielle très importante dans ce projet qui donne envie de venir au bureau. C’est un bâtiment « instagramable » et cela fait partie des exigences de la nouvelle génération. Le contact à la nature et l’expérience sont deux éléments qui me paraissent incroyablement importants.

RF : Les étages qui seront occupés par le futur locataire lui seront livrés sans aménagement particulier. Notre travail a donc porté exclusivement sur le rez-de-chaussée, c’est-à-dire le hall, un espace de restauration, un auditorium et une salle de fitness. Nous avons veillé à connecter ces différentes fonctions : aucune zone d’un immeuble ne doit être laissée de côté. Nous avons également redonné une échelle humaine à cet immeuble qui dispose de volumes impressionnants. Quant à l’esprit des lieux, nous l’avons voulu chic, mais décontracté. Le luxe, s’il est mal proportionné, peut s’avérer intimidant. Je suis convaincu pour ma part que les aspirations ont changé et que le luxe doit impérativement se réinventer pour correspondre à une nouvelle génération de consommateurs, mais avant tout de collaborateurs. Personne n’aspire dorénavant à travailler dans des bureaux pleins de faste, qui inhibent la convivialité.

GC : Se mettre à la place du futur utilisateur. C’est le point de départ de toutes nos réflexions. Cela peut paraître évident, mais ce n’est malheureusement pas toujours le cas, en particulier dans l’immobilier tertiaire. La grande jeunesse des équipes qui ont œuvré au projet a constitué une force. Il est plus facile d’imaginer les attentes de la génération de travailleurs qui occupera ces lieux quand on en fait soi-même partie. La dimension expérientielle devient l’une des plus importantes dans la conception d’un immeuble. Autre grand défi, Ramy l’a souligné : briser tout ce qui pourrait paraître intimidant. Et nous l’avons relevé en prêtant une attention de tous les instants aux détails, qui fournissent toute son élégance au projet. Enfin, nous voulions un bâtiment responsable. Par la végétation, Julien en a parlé, mais aussi en détruisant le moins possible le bâti existant et en conservant l’historique du bâtiment, à commencer par sa façade.

Un enjeu

RF : Jusqu’au bout, les commanditaires nous ont laissé la possibilité de faire évoluer nos choix en matière d’aménagement. En pleine pandémie, avec les bouleversements que celle-ci occasionne pour les immeubles de bureau, cette marge de manœuvre s’est avérée précieuse. Finalement, toutes les étapes par lesquelles notre réflexion est passée nous ont amenés à une simplification. Ce projet est à la fois simple et sophistiqué, ce qui représente en quelque sorte ma philosophie de l’aménagement. À la différence de l’hôtellerie, où l’utilisateur n’est jamais que de passage, le bureau est occupé par ses utilisateurs quasi quotidiennement. La simplicité permet donc d’éviter la lassitude. Pour autant, le mobilier que nous avons sélectionné est construit sur mesure, avec un degré de sophistication que l’on voit rarement dans le bureau. Le chemin de la simplicité nous a également conduits à imaginer un espace d’accueil qui change d’usage en fin de journée pour se transformer en bar, un concept inspiré d’un hôtel que je fréquente. Ce double usage permettra de décomplexer les occupants qui peuvent être gênés à l’idée de s’arrêter dans les espaces communs.

JR : En dehors de la reconfiguration lourde du bâti, un des enjeux architecturaux portait sur la porosité des façades. D’un point de vue urbain, l’ouverture permet aujourd’hui de participer à l’embellissement du quartier et, du point de vue des utilisateurs, à leur bien-être. On retrouve, conformément à cette volonté, des codes domestiques assez simples, mais plutôt rares au bureau, comme la possibilité d’ouvrir les fenêtres pour accéder à l’air libre. Les espaces du 50 Montaigne comptent ainsi près de 70 % d’ouvrants, fait assez rare pour être souligné. Autre enjeu, et non le moindre, l’objet architectural devait s’inscrire dans le temps. La pérennité est le moindre des services que l’on peut rendre à ce quartier si intemporel, en plus de la dimension écologique. J’assume par conséquent une architecture moins bavarde, qui finalement disparaît au profit de l’usage.

GC : Notre ambition première était d’offrir à cette adresse prestigieuse un bâtiment à la hauteur, mais dénué de toute exubérance. Nous voulions également positionner l’actif sur un marché du tertiaire qui était, même avant la crise sanitaire, en grande mutation sous l’impulsion des nouveaux acteurs comme WeWork. Pour l’heure, les 12 500 m2 de bureaux sont toujours en phase de commercialisation et nous espérons une prise à bail d’ici à la fin de l’année. Notre offre se devait d’être sexy et concurrentielle face à ces nouveaux entrants. D’où la végétalisation, l’offre pléthorique de services, le soin apporté au design des espaces. L’épisode Covid n’a fait que nous conforter dans ces choix. Julien a eu raison de le préciser : la pérennité est primordiale. Notre objectif commun était de construire des bureaux qui n’auront rien perdu de leur raison d’être en 2070. Tout un défi !

© Margaux Demaria pour business immo global

Guillaume Canciani

Passionné d’architecture et de design – et de foot aussi – Guillaume Canciani dirige le développement des activités de Chelsfield en France depuis septembre 2018, fort de sa double casquette ESTP et HEC. Il avait passé avant cela plus de 12 ans chez JLL, aux activités hôtelières en particulier.

Ramy Fischler

Élu créateur de l’année à 40 ans tout rond après avoir été lauréat en 2010 de l’Académie de France à Rome, c’est peu dire que la réputation du designer Ramy Fischler le précède. Le Belge diplômé de l’Ensci-Les Ateliers est surtout connu pour ses aspirations à une ville plus écologique et humaine qui l’ont conduit à façonner, entre autres réalisations remarquables, le Refettorio, restaurant solidaire à La Madeleine.

© Margaux Demaria pour business immo global

Julien Rousseau

Un créatif – architecte et designer – à la tête d’une entreprise qui compte près de 30 employés. Julien Rousseau parvient à mener les deux de front depuis 2007, date de naissance de Fresh Architectures, qu’il dirige. L’architecte a précédemment collaboré au sein des équipes de Renzo Piano et de Foster + Partners. Autant dire qu’il a fait bonne école.

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Photos : © Margaux Demaria pour business Immo global

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Article issu du numéro 179 de Business Immo Global.

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