Haut

Carte blanche à… Tsuyoshi Tane

Photo à la Une : © Vincent Fillon

Avec sa méthodologie de création ou « archéologie du futur », l’agence ATTA, basée à Paris, construit pour l’avenir. Son fondateur, l’architecte japonais Tsuyoshi Tane, cherche avant tout à matérialiser une architecture dont les fondations s’appuient sur les souvenirs en dehors de tout geste futuriste. Entretien autour d’une approche architecturale de la mémoire.

Tout commence avec le projet lauréat en 2006 du Musée national d’Estonie. Avec les architectes Dorell et Ghotmeh, Tsuyoshi Tane, alors âgé de 27 ans et sans beaucoup d’expérience, dit-il, remporte depuis Londres ce concours international qui mettra dix ans à voir le jour. Inaugurés en 2016, les 34 000 m2 de ce musée hors norme, construit sur le site d’une ancienne piste d’atterrissage militaire soviétique, sont pour le jeune architecte un véritable tremplin. Ce bâtiment, dont la forme est la mémoire, précise-t-il, est situé dans le quartier de Raadi, au nord-est de Tartu, sur les vestiges d’un premier musée national : « Face à l’héritage négatif du site et afin d’assurer la transmission de la mémoire du peuple estonien, j’ai conçu le musée comme s’il s’agissait du prolongement de la piste militaire. Ainsi, la terre se soulève et se projette vers le ciel, sublimant cet événement historique douloureux. Exprimant un espoir pour l’avenir, ce projet, baptisé ‘‘champ de la mémoire’’, présente des œuvres sur l’histoire et les peuples d’Estonie. » 

Double Grand Prix 

Basée à Paris depuis 2007, l’agence ATTA (Atelier Tsuyoshi Tane Architects) compte aujourd’hui plus d’une quinzaine d’architectes avec un chiffre d’affaires qui explose en 2020.  Après l’inauguration du Musée national estonien lauréat du Grand Prix Afex 2016 (Architectes français à l’export) récompensant des bâtiments livrés à l’étranger par des agences domiciliées en France, ATTA est à nouveau couronné par ce prix en 2021 pour le Musée d’art contemporain à Hirosaki, au nord du Japon. Lauréat du concours en 2017, Tsuyoshi Tane transforme ce bâtiment abandonné, autrefois distillerie de saké puis cidrerie, en un musée dont la toiture « Cider Gold » en titane symbolise la mémoire de l’ancienne cidrerie. Dans cette première région pomicole du pays, il s’agissait de rénover le bâtiment de briques en améliorant ses performances sismiques et sans qu’aucune distinction ne soit possible entre l’ancien et le neuf. « Les toits en titane de ce musée, qui a ouvert ses portes en juillet 2020, changent de couleur avec les saisons, la météo ou encore l’heure de la journée, avec, en arrière-plan, le mont Iwaki, volcan endormi qui veille silencieusement sur la plaine où se trouve la ville d’Hirosaki », précise l’architecte. 

Musée national estonien © Takuji Shimmura
Musée d’art contemporain à Hirosaki © Daici Ano

Extraire la mémoire

C’est en creusant l’histoire des lieux que Tsuyoshi Tane fait émerger l’essence des projets. Ainsi, l’agence ATTA va concevoir le nouveau bâtiment quatrième génération de l’Imperial Hotel (4) à Tokyo, qui a ouvert ses portes en 1890. Renouant avec la tradition, le bâtiment à venir (2031-2036) du premier grand hôtel du pays, s’appuie sur l’idée d’un « Joyau de l’Orient » qui superpose le concept de « palais » comme lieu d’accueil au concept de « tour » comme symbole de l’évolution de l’humanité, faisant ainsi revivre le souvenir de l’hôtel Impérial deuxième génération, de Frank Lloyd Wright.

Toujours à Tokyo dans les projets à venir, 388farm (2)ravive la mémoire oubliée du site de Tamagawa Jōsui (voie navigable) pour la réinjecter dans la régénération de Shibuya. Il s’agit pour Tsuyoshi Tane de créer la plus grande ferme du monde, d’une longueur totale de 2,3 km tout au long de la voie navigable. Lieu de détente, d’éducation et de communauté 388farm défend, dit-il, « l’idée d’un mode de vie durable et urbain ».

Imperial Hotel à Tokyo - © Atelier Tsuyoshi Tane
388farm © Atelier Tsuyoshi Tane Architect

À Paris aussi…

Dans le cadre de la rénovation récente de l’Hôtel de la Marine, la Fondation Al Thani a mandaté ATTA pour la création d’un espace d’exposition permanente pour sa collection « entre mémoire et immersion dans l’ornementation abondante des intérieurs historiques ». Toujours dans cette recherche de continuité entre l’histoire d’un lieu et ce qu’il va devenir, Tsuyoshi Tane a entièrement repensé l’univers du premier chef japonais Kei Kobayashi, triplement étoilé à Paris. Pour refléter la singularité du maître des lieux et célébrer la cérémonie du repas à la française, l’architecte a imaginé un écrin aussi royal que confidentiel (Photo à la Une), inspiré de la galerie des Glaces. Des matériaux nobles, comme le marbre ou le cristal, anoblissent la salle du restaurant sous son lustre Saint-Louis. Grands chandeliers et tubes de verre cristallisent cet espace gastronomique.

Tsuyoshi Tane conclut : « Quelle que soit l’échelle des sites ou des programmes, le challenge de tous mes projets est avant tout de révéler la mémoire des situations et d’établir la continuité entre passé et futur. »


Article issu du numéro 184 de Business Immo Global.

Pour consulter le numéro dans son intégralité, cliquez ici