Haut

Rencontre avec Cyril Aouizerate, fondateur de MOB Hôtel

Maïmonide Of Brooklyn, dit le MOB. C’est dans ce petit restaurant communautaire vegan de New York que le mouvement MOB prend vie en 2011. Rapidement, il va devenir un lieu de vie et de partage, à l’énergie particulière. Si bien que Cyril Aouizerate, philosophe par études, urbaniste par affinités et fondateur du MOB, se lance à plus grande échelle, ouvrant en 2017, le MOB Hôtel de Saint-Ouen puis celui de Lyon Confluence. D’ici 2022, cinq établissements supplémentaires seront ouverts en France et aux États-Unis, et d’autres projets sont d’ores et déjà à l’étude à Londres, Munich ou encore Dakar… Le maître des lieux se livre à in interiors sur sa philosophie et ses projets.

in interiors : Plus que comme des établissements, vous définissez MOB avant tout comme un mouvement. Comment le définiriez-vous ?
Cyril Aouizerate : Dans un monde qui change à une allure vertigineuse, on ne peut plus prétendre aujourd’hui faire des hôtels et ne pas être en symbiose avec ce qui se passe autour de nous. La collaboration, les partenariats entre différents univers sont pour moi les seuls moyens de créer une expérience capable d’attirer un voyageur business ou touristique. L’idée est de créer une économie de l’entraide et pas seulement une économie.
Dans cette logique, le rôle du mouvement MOB est de fédérer des petits entrepreneurs, des mouvements associatifs pour créer une communauté. Les collectifs dont l’activité ou la vocation font sens avec notre action et qui se retrouvent avec MOB sur les notions d’écologie sociale, d’éthiques et culturelles sont les bienvenus. Dans les faits, cela veut dire offrir un lieu, des facilités diverses et variées pour permettre à des entités locales de se développer.


ii : Vous parlez d’écologie sociale. En quoi cette notion vous semble-t-elle centrale ?

CA : On ne vient pas à l’écologie sociale par contrainte, mais par conviction. En parallèle, prendre en considération les attentes fortes des usagers en matière d’engagement responsable, environnemental et humain est également moteur. L’entraide, la culture, l’écologie sont des sujets qui parlent à tous. L’hôtellerie est effectivement en première ligne de l’écologie sociale.
Ce concept, nous le déclinons sur chacune de nos actions. Nous essayons de nous montrer cohérents, du produit de salle de bains aux fournisseurs locaux, des vêtements vendus en boutique aux animations proposées… Ici, les clients ne sont pas dans une chaîne, ils ressentent l’environnement local.
MOB propose ainsi une alternative au modèle d’hôtellerie existant. Dans dix ans, les gens rejetteront les modèles qui ne seront pas en phase avec leurs valeurs. Si l’hôtellerie n’est pas en première ligne de l’écologie sociale aujourd’hui, demain, elle n’existera plus.


ii : La vie culturelle a également une place importante au sein de vos établissement…

CA : Tout à fait. La culture est la première raison de visiter une ville. Elle ne peut donc pas s’arrêter à la porte de l’hôtel. Un voyageur, quel qu’il soit, vient ressentir son histoire, son mode de vie, son art culinaire. Lui offrir un live, une conférence, un yoga ou une séance de méditation fait également partie de la culture MOB justement.

ii : Vous avez choisi Saint-Ouen pour la première MOB House. Par affinité ou par opportunité ?
CA : Plus qu’une simple localisation, Saint-Ouen a vocation à devenir notre QG. C’est un territoire que j’aime beaucoup pour sa richesse culturelle, ses Puces, son dynamisme. Parallèlement, la commune représente un potentiel énorme en termes de tourisme et de vie culturelle. L’axe 17e-Saint-Ouen se développe ces dernières années et dynamise le périmètre. Les puces drainent également beaucoup de monde. Il est intéressant de constater que ce mouvement, vieux de 150 ans, a anticipé les questions écologiques en refusant déjà à l’époque de rentrer dans le consumérisme. Cette idée que les Puces aient été un territoire précurseur sur ces questions-là donne du sens à l’implantation de MOB Hôtel et prochainement de MOB House à Saint-Ouen.

 

ii : Première pierre posée en juillet 2018, ouverture prévue en avril 2020. MOB House est votre nouveau projet. En quoi est-il différent des MOB Hôtels ?
CA : Notre volonté est que nos clients se sentent chez eux… Certains d’entre eux aspiraient à des chambres plus grandes ; nous les avons écoutés.
Tout en restant fidèle aux valeurs MOB, la MOB House offrira des espaces plus vastes aux clients pour, souvent, des séjours plus longs. Ainsi, la MOB House s’adresse à une clientèle professionnelle plutôt indépendante, mais pas seulement. Les chambres, quasiment des suites, proposeront des services plus complets. Au sein même des chambres, le client disposera d’un coin nuit isolé, d’un bureau ainsi que d’une salle de réunion. L’idée est qu’il puisse travailler, dans de bonnes conditions, s’il le souhaite. Parallèlement, salle de sport, grande piscine, grand jardin…, il pourra profiter de facilités au cœur même du complexe pour se détendre et se divertir.

 

ii : Sur ce projet, vous êtes accompagné par BBC Architectes et Philippe Starck. Quelle vision du projet leur avez-vous confiée ?
CA : Un cahier d’inspiration d’un millier de pages ! Philippe Stark, avec qui je travaille depuis 15 ans, sait ce qu’il va y trouver. Il ne raconte pas ce que j’attends en termes de design, mais matérialise la réflexion que je porte sur le projet. C’est un exercice que je fais à chaque fois. Textes, articles, photos, coupures de journaux… Je rassemble tous les éléments qui ont construit ma réflexion sur ce que j’appelle le « bleasure », concept qui résume assez bien nos vies. Quand on a la chance de faire un travail qui nous permet de nous émanciper, on souhaite évoluer dans des lieux qui nous le permettent également. MOB House répond assez bien à cet état de fait.


ii : Le bleasure ? De quoi s’agit-il ?

CA : C’est notre raison d’être ! Au même titre que l’on ne s’arrête pas de vivre lorsque l’on voyage pour le travail, on n’arrête pas non plus de travailler quand on voyage pour le plaisir.
Contraction de business et de leasure (loisir), le bleasure part de ce postulat. Considérant cela, le voyageur doit pouvoir travailler dans de bonnes conditions tout en mixant son temps avec des activités de loisirs : lire, se cultiver, faire du sport.
MOB House s’adresse en ce sens aux professionnels qui souhaitent trouver, lors de leur séjour, un équilibre entre travail et loisirs, et évoluer dans un établissement qui leur permet de passer de la sphère privée à la sphère professionnelle en toute fluidité.
Des espaces privés suffisamment grands et organisés pour pouvoir s’y ressourcer et y travailler avec la possibilité même d’y recevoir des clients. Et des services complets pour se divertir dans les espaces communs.

ii : À l’avenir, le mouvement MOB pourrait-il se décliner à d’autres secteurs que l’hôtellerie ?

CA : Aujourd’hui où l’argent n’a plus de valeur, où les tensions sociales se durcissent, je crois beaucoup au mode coopératif qui redonne du sens. Nous réfléchissons d’ailleurs à un modèle de coopérative hôtelière pour redonner vie à des territoires ruraux. Prendre en compte des enjeux actuels, des tensions, redonner du sens au lieu sans pour autant idéaliser la vie rurale. Il est important de ne pas tomber dans les extrêmes.
Le monde change, les enjeux sociétaux et environnementaux sont réels… Face à eux, difficile d’avoir des certitudes. La seule que j’ai est que la solution sera exclusivement collective. C’est en ce sens que MOB construira ses projets futurs.

Photos : Aldo Paredes