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Les imprimeries du Monde / Cyril Trétout, Philippe Bouyssou & Laurent Mourey

C’est à Ivry-sur-Seine, ville limitrophe au sud-est de la capitale, que les promoteurs Linkcity, Nexity et Poly-Cités ont débuté l’opération de régénération urbaine des Imprimeries du Monde, pensée par les architectes Anma, Tolila + Gilliland et Frédéric Lebard afin de répondre au mieux aux enjeux de la collectivité locale. Retour sur cet écoquartier mixte alliant logement, hôtellerie, commerce et logistique du dernier kilomètre avec Cyril Trétout, président d’Anma, Philippe Bouyssou, maire d’Ivry-Sur-Seine, et Laurent Mourey, directeur général de Linkcity France et président-directeur général de Linkcity Île-de-France.

Patrimoine historique 

Philippe Bouyssou : Avant que le bâtiment ne devienne les imprimeries du Monde, il s’agissait de l’usine SKF, une grande entreprise suédoise et industrielle qui fabriquait des roulements à billes. Lors de sa fermeture, dans le courant des années 1980, une lutte emblématique et symbolique s’est tenue contre la désindustrialisation de ce lieu, avec une occupation de l’usine durant presque deux ans. À cette époque, l’envie de conserver un caractère d’activité économique à la ville était néanmoins toujours bien présente. Nous avons donc réussi à faire venir à Ivry-sur-Seine les imprimeries du Monde en 1986. C’était une activité économique encadrée par le syndicat de la CGT, un point qui collait parfaitement avec les valeurs communistes de la ville. Sur la ZAC Ivry Confluence, qui entoure ce site, nous avons voulu respecter la trace de la ville ancienne, en re repensant par le secteur à blanc et en conservant l’existant. Quand Le Monde a quitté lui aussi le site, les grands principes que l’on a voulus pour la ZAC se sont déclinés ici à une échelle plus petite, mais avec les mêmes idées : une mixité fonctionnelle alliant des fonctions résidentielles et de l’activité économique.

Cyril Trétout : Au moment où le projet a débuté, notre équipe travaillait déjà depuis deux ans, sur quelques périmètres entourant ce site privé, qui ne faisait pas partie de la réflexion de l’architecte Bruno Fortier pour la ZAC Ivry Confluence. Satisfaite de notre travail, c’est assez naturellement que la Ville nous a demandé de travailler sur ce projet dans la même logique que celui en cours. Lorsque nous sommes arrivés sur le site, nous avons aperçu des boîtes métalliques relativement pauvres. La seule chose qui était travaillée était le sigle du Monde : une gigantesque mappemonde. Fabriquer un morceau de quartier est extrêmement difficile et partir de l’existant nous aide beaucoup. C’est pourquoi, dès les premières maquettes, les deux halls se sont imposés comme l’endroit qu’il fallait redonner aux habitants. Totalement recouverts, il était difficile d’imaginer qu’un jour, il pourrait y avoir à cet endroit même un espace public. Pourtant, après avoir retiré la peau métallique et vidé les halls, ce point de rendez-vous était une évidence, à l’image de tous ces intérieurs d’îlots que Fortier et d’autres ont rouverts, tout comme l’idée de conserver les poutres de béton. 

Laurent Mourey : Déjà en 2019, le potentiel à développer était évident. Il y a tout un tas de promoteurs qui viennent imposer leurs produits dans les villes, mais très souvent leurs idées tombent à côté des convictions et des enjeux de la collectivité locale. Il y a à mon sens trois choses indispensables pour qu’un tel projet se déroule au mieux. Tout d’abord, répondre aux enjeux du territoire est extrêmement important : il faut comprendre les attentes et besoins d’une ville et trouver comment les décliner. La qualité d’usage doit aussi être prise en compte, notamment pour les logements. Et enfin, une méthodologie sans séquencement avec beaucoup de dialogue entre les parties doit être favorisée. Pour ce projet nous étions trois promoteurs. Nous avons emmené avec nous le constructeur (Bouygues Construction) qui s’est mis au service des grands défis urbanistiques et architecturaux du projet, notamment le rapport au patrimoine existant. Très vite, nous nous sommes retrouvés autour de la table à travailler tous ensemble. Il n’y avait pas de schéma directeur, tout était à faire. C’est cela aussi qui était intéressant, c’est qu’on ne s’accrochait pas à des orientations prédéfinies, il a fallu les établir communément, autour de cet objectif de bien commun.

Un projet mixte et responsable

LM : Cette opération représente un projet urbain totalisant près de 800 logements, si l’on prend en compte les chambres de la résidence hôtelière et celle pour étudiants. Il a donc fallu y intégrer une notion de mixité et s’attarder à la couture de ce projet vis-à-vis de son environnement, de son engagement à la ville. En nous interrogeant sur les produits pouvant coexister sur ce site ; pour réaliser un quartier intégré au mieux dans la ville, nous avons avant tout cherché à répondre aux enjeux programmatiques du territoire, avec ici l’impératif de conserver une activité économique historique. Le résultat est un grand projet multi-produit, multi-usage, multi-service, qui se compose de logements libres, sociaux et intermédiaires, de logements pour étudiants, d’une résidence hôtelière, de commerces et d’un espace d’activités avec la plate-forme logistique du dernier kilomètre.

PB : Les grands principes derrière la ZAC Ivry Confluences se sont déclinés ici, quoiqu’à une échelle plus restreinte, avec une mixité fonctionnelle alliant l’activité économique, notamment avec la plate-forme logistique du dernier kilomètre, des fonctions résidentielles diverses ainsi qu’une attention accordée au développement durable. Dans ce projet, la ville pose des conditions qui sont les siennes : être ni une ville-usine, ni une ville-dortoir. Notre volonté est de rester une ville populaire aux portes de la capitale. Des enjeux environnementaux sont aussi inhérents à ce projet, alors que nous cherchions la meilleure façon de faire la ville sur la ville, notamment en nous confrontant aux questions de la dépollution des sols et de l’efficacité énergétique. À titre d’exemple, ce site est relié en eau chaude et en chauffage à un puits de géothermie voisin. À Ivry-sur-Seine, nous sommes d’ailleurs fiers que le réseau de chauffage urbain mise à près de 70 % sur une énergie renouvelable.

CT : L’intensité urbaine que porte ce projet, avec de différentes hauteurs et une densité de logements importante, représente aussi une réponse claire aux enjeux environnementaux que rencontre la fabrique de la ville. Nos efforts en matière de développement durable nous ont aussi amenés à travailler sur l’architecture des toitures, en privilégiant la végétalisation plutôt que les toits plats classiques, ainsi qu’à l’emploi d’une variété de matériaux, sans tomber dans le catalogue. Néanmoins, il ne faudrait pas que, dans les prochaines années, la question du carbone, certes très importante, prenne le dessus sur la qualité des usages. Les surfaces se réduisent, les hauteurs sont toujours au même niveau, les cuisines ne se ferment plus… Nous sommes dans une France de surfaces réduites. Dans ce projet, nous avons donc conçu des espaces traversants et avons doté chaque logement d’une grande terrasse. Nous sommes partis sur la haute qualité d’usage avant de défendre la haute qualité environnementale, car celles-ci doivent aller de pair. 

Entre dialogue et collaboration

LM : Il n’y avait pas d’aménageur sur ce site, ce qui est souvent le cas dans une opération de cette envergure. Plutôt que de nous accrocher à des orientations prédéfinies, nous avons collectivement travaillé en ateliers et défini les ambitions du projet, les grandes lignes du programme et pensé les espaces publics. Cette réalisation est donc avant tout l’histoire d’un dialogue permanent et constructif. D’abord entre la Ville, le propriétaire, les architectes, les urbanistes, les promoteurs et le constructeur. Mais aussi entre le passé et l’avenir, avec la conservation des arches des imprimeries du journal Le Monde et la renaissance d’un site ouvert et attractif. C’est également un dialogue architectural, issu du travail de trois agences, ainsi qu’entre les matériaux utilisés et qui se complètent parfaitement : le béton brut conservé, la brique, le métal, le bois…

CT :  Il est plutôt rare de voir une ville accompagner des acteurs privés, sans le concours d’un aménageur, sur un projet d’une telle ampleur. C’est pour cela qu’il y avait au départ de ce projet, avant même la vision architecturale, une conscience de devoir travailler ensemble. Le bien commun défendu par la Ville était compatible avec une logique économique clairement définie, et c’est cet équilibre qu’il fallait toujours maintenir. Ce projet fait partie des opérations exemplaires, car il montre qu’il n’y a pas obligatoirement d’opposition entre les intérêts publics et privés. Nous sommes capables de faire les choses bien et rapidement avec une bonne entente. Cette notion de travail collectif n’était pas du tout l’approche il y a encore dix ans, pourtant elle demeure essentielle pour avancer rapidement comme ce fut le cas sur ce site plutôt que de s’enliser dans les recours. En effet, quand il y a un rapport direct avec le territoire et que les ambitions sont claires, il est possible d’obtenir des permis de construire en moins de neuf mois sans difficulté. 

PB : La coopération intercommunale, la mise en commun et la mutualisation des attentes vis-à-vis d’un programme sont pour moi des éléments importants. La conception de ce projet s’est donc aussi effectuée en dialogue avec le reste de l’aménagement de la ZAC. Il y a aujourd’hui une cohérence d’ensemble et une interaction entre les différents projets, de sorte que ce morceau de quartier s’intègre aisément. C’est en effet ce qui explique aussi la l’acceptabilité du projet et la rapidité de son exécution. Le dialogue avec les habitants est également important pour favoriser l’acceptabilité. Car si la population craint la densité, elle veut un cadre de vie de qualité, ce que permettront les commerces (boulangerie, supérette, brasserie) prévus sur cet îlot. Or, pour cela, l’intensité urbaine est indispensable. Ici, la densité d’habitants s’inscrit dans une jauge tout à fait acceptable par rapport à celle observée dans les quartiers haussmanniens de la capitale.  

© Margaux Demaria pour Business Immo Global
© Margaux Demaria pour Business Immo Global
© Margaux Demaria pour Business Immo Global

Leur projet commun

Anciennement une usine de roulement SKF puis les imprimeries du Monde jusqu’en 2015, l’écoquartier est un véritable patrimoine historique. Un point clé que les trois architectes de ce projet Anma, Tolila + Gilliland et Frédéric Lebard ont d’ailleurs souhaité conserver et mettre en valeur. Ce programme respectueux de l’environnement de 43 000 m2 comprend 367 logements et 9 300 m2 d’activités, dont 6 500 m2 de plate-forme logistique. Réalisée par Sogaris, la plate-forme vise à développer la capacité de livraison du dernier kilomètre dans l’agglomération parisienne. Près de 3 000 m2 de commerces, dont sept pour Cristal, animeront le quartier, une résidence pour étudiants offrira 171 chambres et une résidence hôtelière 170. Les 144 locatifs sociaux pour IDF Habitat bénéficieront quant à eux de potagers urbains partagés. Les trois architectes de renom ont également réussi à créer une mixité des façades : tôle, peinture, aluminium, béton ou encore béton rainuré. Pour opérer au mieux et répondre aux besoins locaux, une concentration solide a été menée entre les différents acteurs du projet. En effet, la collaboration entre les architectes, la Ville et les promoteurs Nexity, Poly-Cités et Linkcity a permis de faire de ce projet un véritable exemple de reconversion urbaine et industrielle. Le respect du lieu historique, la dimension sociale et la mixité des usages étaient des points importants pour la Ville d’Ivry-sur-Seine qui s’est ouverte, pour ce projet, à un dialogue entre le privé et le public.

Leurs bio

Architecte urbaniste diplômé de l’École d’Architecture de Paris-Belleville, Cyril Trétout intègre Anma – Agence Nicolas Michelin & Associés – en 2003 en tant qu’associé. Nommé directeur général en 2019, Cyril Trétout prend la présidence l’année suivante et est aujourd’hui à la tête d’une agence regroupant sept associés. Basée à Paris, Bordeaux et Pékin, l’agence a obtenu deux fois une mention spéciale au prix de l’Équerre d’argent, en 2003 pour le gymnase Europole à Grenoble, et en 2010 pour les logements Grand Large à Dunkerque. - Photo : © Margaux Demaria pour Business Immo Global
Maire d’Ivry-sur-Seine depuis février 2015, Philippe Bouyssou devient membre des jeunesses communistes en 1982. Il commence ensuite des études d’histoire à la Sorbonne et devient membre du bureau national de l’Unef, principal syndicat étudiant. Il est secrétaire général CGT de l’hôpital en 1989, puis est élu conseiller municipal en 1995. Il mène parallèlement des études d’infirmier à la Pitié-Salpêtrière avant d’obtenir son diplôme d’État en 1998. Il est élu 1er adjoint le 25 mars 2001 et initie en 2004 la délégation des droits et citoyenneté des ressortissants étrangers qu’il occupera jusqu’en 2012. En octobre 2016, Philippe Bouyssou est élu président de l’association des maires du Val-de-Marne. - Photo : © Margaux Demaria pour Business Immo Global
Laurent Mourey est ingénieur ESTP 88. Il débute sa carrière chez Bouygues Bâtiment Nord-Est en 1989 où il occupe successivement des postes de responsable travaux puis commercial avant de rejoindre Linkcity en 2000. Il est nommé directeur de Linkcity Nord-Est en 2008 et rejoint en 2018 le comité exécutif de Linkcity France en tant que directeur général adjoint, en charge de la façade est. En mars 2020 Laurent Mourey est nommé directeur général de Linkcity Île-de-France. En juillet 2022, il est promu directeur général de Linkcity France et président-directeur général de Linkcity Île-de-France. - Photo : © Margaux Demaria pour Business Immo Global

Article issu du numéro 188 de Business Immo Global.

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