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Les tours Duo / Jean Nouvel, Jérôme Coumet & Karim Habra

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Photo à la Une : Jad Sylla pour Business Immo Global

Au sud du 13e arrondissement de Paris s’opère depuis maintenant 30 ans la transformation d’une friche industrielle de 130 ha en un nouveau quartier mixte. Point d’orgue de cette opération de renouvellement urbain, au bout de l’avenue de France, les tours Duo surplombent aujourd’hui la ZAC Paris Rive Gauche et le Périphérique voisin. Karim Habra, Head of Europe and Asia-Pacific chez Ivanhoé Cambridge, Jérôme Coumet, maire du 13e arrondissement de Paris et président de la Semapa, accompagnés de l’architecte Jean Nouvel reviennent sur cette opération phare, symbole architectural affirmé du renouveau de l’Est parisien.

Histoire

Jérôme Coumet : Il est plutôt incongru de s’être retrouvé avec 130 ha non urbanisés en plein Paris, comme ce fut le cas dans le 13e arrondissement de la capitale, mais il s’agit d’un fruit de l’histoire. Il y a eu d’abord l’implantation de la Pitié-Salpêtrière, puis un projet de canal, abandonné au moment de la Révolution française. La gare d’Austerlitz est ensuite venue s’installer, avant de voir une zone industrielle naître aux alentours après la Première Guerre mondiale, puis péricliter à la fin du XXe siècle. Du redéveloppement de cette friche, comportant la difficulté d’enjamber les voies ferrées, a émergé un nouveau quartier, dont l’aménagement continue, avec l’idée de reconquérir l’accès à la Seine. Cette dernière n’est plus réduite à un outil de transport industriel, mais est aussi un vecteur de loisirs et de bien-être ; et c’est dans cet esprit que ce quartier a été aménagé en construisant au-dessus des voies ferrées. Cet endroit est d’autant plus particulier que, les frontières de Paris étant enserrées par le Périphérique, nous devons repenser son lien avec ses voisins, au travers de réaménagements lourds et de nouvelles mobilités, mais aussi avec l’urbanisme, comme c’est le cas avec les tours Duo.

Karim Habra : Ivanhoé Cambridge est un investisseur de long terme et notre mission est de générer une performance financière durable tout en ayant un impact environnemental et sociétal vertueux, des éléments qui ne peuvent qu’aller de pair aujourd’hui. Pour nous, la livraison cette année des tours Duo vient couronner une aventure amorcée il y a déjà 12 ans. Nous aimons aussi nous positionner en amont des projets, et ce fut le cas sur cette opération puisque notre intérêt a débuté en 2011. Nous avons remporté le concours organisé par la Semapa et la Ville de Paris l’année suivante. Nous voulions alors investir au sein d’un quartier en devenir, montrant un fort potentiel de régénération, et c’est ce que nous avons observé sur cette partie du 13e arrondissement. La construction a été lancée en 2017, année où nous avons aussi commercialisé les espaces tertiaires auprès de Natixis Assurances, qui est devenu ensuite un co-investisseur.

Jean Nouvel : Au moment de réaliser ce nouveau quartier tertiaire, il a été décidé qu’il soit identifiable et permette un certain nombre de densités, dans une optique de rééquilibrage urbain. Sur la rive gauche, au bout de l’avenue de France et à son intersection avec le boulevard des Maréchaux, l’objectif du concours tenu par la Semapa était de symboliser un nouveau quartier tertiaire et d’installer un point de repère. Le choix de réaliser deux tours sur cette parcelle découle donc d’une volonté programmatique et politique, mais il était intéressant que ce nouveau quartier ne se traduise pas automatiquement par une série de bâtiments préimaginés par les logiciels de la plupart des sociétés d’ingénierie et d’architecture. Et si je ne suis pas automatiquement pour la multiplication des tours à Paris, ces tours démontrent que certains immeubles de grande hauteur, s’ils représentent la bonne proposition au bon endroit, peuvent s’intégrer de façon pertinente à un équilibre urbain et à l’identité d’une ville en évolution. L’architecture, c’est toujours une relation à la géographie et à l’histoire… Et au plaisir de vivre.

Vision

JN : Je ne clone jamais, même pour les tours jumelles. Mon idée était de leur donner du sens et un peu de poésie en fabriquant une sorte de danse entre les deux bâtiments. La plus haute est un monsieur qui lève la tête, la plus fine une dame qui lui fait face, et toutes les deux jouent en reflets un dialogue avec la ville qui les entoure. Les façades sont toutes différentes, là où depuis des décennies une tour se constitue de quatre murs-rideaux, toujours les mêmes. Les derniers étages ne sont pas les mêmes que les premiers, certains réservent aussi des surprises. En outre, la verticalité d’une tour permet les ouvertures les plus larges, les cadrages les plus intéressants. C’est dans cette singularité que doit se faire la ville, plutôt que dans un plan urbain définissant tout jusqu’au dernier moment et répliquant en série le même parallélépipède.

JC : Plus que la physionomie des tours elle-même, j’ai été d’abord intéressé par la volonté de Jean Nouvel à projeter les reflets de son environnement – le Périphérique, la Seine ou la voie ferrée –, ce qui explique notamment l’inclinaison de l’un des sommets et représente pour moi la force de cette architecture. L’idée de réaliser des tours remonte d’ailleurs à longtemps, avant même que je devienne maire. Sous l’administration de Bertrand Delanoë, l’idée audacieuse de penser une vague passant au-dessus du Périphérique avait émergé, la hauteur permettant d’englober cet ouvrage. Le nouveau palais de Justice, dans le 17e arrondissement, a d’ailleurs servi de signal architectural pour que ces ouvrages fassent date, et à ce titre, le choix de cette proposition de Jean Nouvel n’est pas un hasard. Là où l’on retrouvait peu d’activité économique, les programmes immobiliers dédiés à des activités économiques, comme les tours Duo, participent à une plus grande mixité urbaine et un rééquilibrage entre l’Est et l’Ouest parisien.

KH : Contrairement à la majorité des tours, généralement droites et immobiles, ces immeubles sont en mouvement grâce à leur inclinaison et leurs reflets. Elles sont d’ailleurs différentes selon l’endroit d’où vous les regardez, et ce mouvement permanent distingue selon nous la proposition architecturale de Jean Nouvel. À l’intérieur, les espaces ont été pensés avec comme maîtres mots la flexibilité, l’innovation, le confort et le bien-être. Les tours Duo seront d’ailleurs le plus grand projet français à recevoir la certification Well, en plus des certifications WiredScore, Leed Platinum, HQE Exceptionnel et Effinergie+. La plate-forme BIM utilisée lors de la conception et la construction du projet sera aussi mise à profit dans l’exploitation opérationnelle.

Attractivité

KH : Pour ce quartier comme pour cette opération, le thème principal est la mixité et la diversité. Mixité des usages, mais aussi en termes architecturaux. Ce projet s’imposait donc comme une évidence assez naturelle étant donné son emplacement et sa programmation : plus de 97 000 m2 de bureaux, un hôtel de 139 chambres appelé à devenir iconique, des terrasses, un restaurant et un skybar rendant les tours accessibles à tous dans toute leur hauteur, ce qui est très rare. Ces tours, hautes de 39 et 22 étages respectivement, s’inscrivent donc dans le quartier comme un réel vecteur d’attractivité et nous portons l’espoir qu’elles deviennent des destinations touristiques. Plus qu’un marqueur architectural que l’on observe de loin, elles seront une destination dont pourront s’emparer les Parisiens et les visiteurs du monde entier.

JC : En tant que président de la Semapa, j’ai essayé avec humilité de comprendre et d’anticiper dans la mesure du possible les nouvelles formes d’habitation et de travail. Je m’inquiétais de la mode de la rationalisation en excès du nombre de mètres carrés, qui génère certes des économies, mais de courte vue. Face à la popularisation du télétravail, que la crise sanitaire a accéléré, les entreprises auront besoin de bureaux plus attractifs. Or, Paris a la chance, au centre de l’agglomération, de proposer un large éventail de commodités, tant en matière d’offre culturelle et de restauration que d’accessibilité de transports. Point culminant du réaménagement de Paris Rive Gauche, ce lieu devrait gagner en attractivité dans les années qui viennent et, avec l’avancée de l’urbanisation le long de la seine, j’espère que nous transmettrons le flambeau à nos amis d’Ivry-sur-Seine appelés à y développer eux aussi un quartier attractif. 

JN : Nous sommes marqués par notre histoire et, en France, nous aimons manifestement décapiter, en ramenant tous les immeubles à la même hauteur. Je suis plutôt pour que la ville bouge, invente sa vie au fur et à mesure et devienne de plus en plus intéressante. Le temps, il faut s’en servir comme d’un allié et non qu’il vienne uniquement nous éroder. Le principe d’une tour est d’être vue, et en plus d’être fière. Celles-ci, avec leur hôtel ou leur belvédère, seront envahies par des habitants qui ne sont pas seulement des utilisateurs tertiaires, contrairement à un urbanisme vertical généralement très monofonctionnel. Toutes les tours privées, dans lesquelles on ne peut rentrer, appartiennent moins à la ville. Il est intéressant qu’elles favorisent l’attractivité de l’avenue de France et du boulevard des Maréchaux. Elles représentent en quelque sorte une nouvelle porte de Paris. Il était important de marquer ce statut dans leurs formes et leur rapport volumétrique.

© Jad Sylla pour Business Immo Global

Leur projet commun

Point culminant d’une aventure de plus de dix ans pour l’investisseur Ivanhoé Cambridge, bras immobilier de la Caisse de dépôt et placement du Québec, la livraison des tours Duo en décembre dernier a installé au bout de l’avenue de France, dans le 13e arrondissement de Paris, un nouveau marqueur architectural dans l’Est parisien. Signées par le célèbre architecte Jean Nouvel, les deux tours – 180 m et 39 étages pour Duo Est, et 122 m et 27 étages pour Duo Ouest – totalisent plus de 106  000 m², dont plus de 97  000 m² de surfaces tertiaires prélouées au groupe BPCE. Sur les dix niveaux supérieurs de Duo Ouest, un hôtel 4 étoiles de 139 chambres, un restaurant et un bar avec terrasse, conçus par le designer Philippe Starck et opérés par le Groupe Laurent Taïeb, viendront bientôt compléter la programmation. Dotées d’un auditorium, de commerces, de terrasses végétalisées, mais aussi d’un espace vert ouvert à tous avec un jardin en belvédère surplombant les voies ferrées, les tours Duo représentent le plus vaste projet français jamais labellisé Well Platinum et bénéficient en outre des certifications WiredScore, Leed Platinum, HQE Exceptionnel et Effinergie+.

© Jad Sylla pour Business Immo Global
© Jad Sylla pour Business Immo Global
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© Jad Sylla pour Business Immo Global
Jérôme Coumet (à gauche) & Karim Habra (à droite) - © Jad Sylla pour Business Immo Global
Jean Nouvel - © Jad Sylla pour Business Immo Global

Jérôme Coumet 

Les racines de Jérôme Coumet dans le 13e arrondissement de Paris sont profondes. Né dans cet arrondissement de l’Est parisien, il y a effectué toute sa scolarité et, après avoir été pendant six ans le premier adjoint de son prédécesseur Serge Blisko, il a été élu maire en 2007. Il est également depuis 2008 président de la Société d’économie mixte d’aménagement de Paris (Semapa), chargée de l’aménagement du nouveau quartier Paris Rive Gauche.

Karim Habra 

Diplômé de l’université Paris-Dauphine, Karim Habra œuvre sur les marchés immobiliers européens depuis près de 20 ans. Après avoir occupé le poste de Managing Director chez GE Capital Real Estate puis JER Partners, il a ensuite gravi les échelons chez LaSalle Investment Management jusqu’à devenir Head of Continental Europe. Passé chez Ivanhoé Cambridge à l’été 2018, il est aujourd’hui Head of Europe and Asia-Pacific au sein de la société immobilière québécoise.

Jean Nouvel 

Équerre d’argent (1987), médaille d’or de l’Académie d’architecture (1999), Lion d’or à la Biennale de Venise (2000), Royal Gold Medal du Royal Institute of British Architects (Riba) (2001), prix Pritzker (2008)… Ce ne sont que quelques-unes des récompenses reçues par l’architecte Jean Nouvel durant une carrière de plus de 50 ans exercée aux quatre coins du monde. Parmi ses œuvres phares figurent l’Institut du monde arabe, la Fondation Cartier pour l’art contemporain et le musée du quai Branly – Jacques Chirac à Paris, la tour Agbar à Barcelone, le One Central Park à Sydney (Australie), ou le Louvre Abu Dhabi aux Émirats arabes unis.


Article issu du Hors-Série Logistique 2022 de Business Immo Global.

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