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Renaissance / Tristan Auer, Jean-Philippe Le Bœuf & Stéphanie Bensimon

Photos : © Margaux Demaria

Immeuble iconique du 8e arrondissement de Paris, l’ancien siège historique d’Europe 1 fait l’objet depuis 2018 d’une restructuration orchestrée par l’investisseur value-added Ardian Real Estate. Imaginée par l’agence d’architecture Calq avec le concours de l’agence Atelier Tristan Auer, l’opération permettra sous peu l’avènement de Renaissance, un immeuble mixte de 9 000 m2 alliant bureaux nouvelle génération et commerces de luxe. Retour sur l’une des rares (et dernières ?) opérations d’une telle envergure dans le Triangle d’or avec Stéphanie Bensimon, Head of Real Estate chez Ardian, Jean-Philippe Le Bœuf, président et cofondateur de Calq, ainsi que l’architecte d’intérieur Tristan Auer.

Histoire

Jean-Philippe Le Bœuf : La rue François-Ier a été percée pour rejoindre l’avenue George-V au moment de l’aménagement du quartier, au milieu du XIXe siècle. Cet immeuble réunit quatre hôtels particuliers, du 26 bis au 32, construits sur un terrain plat, malgré le dénivelé de l’îlot. Pendant longtemps, l’arrière de l’ensemble avait fonction de garage à carrosses et de showroom, transformés plus tard en studios par Europe 1. L’opération a donc consisté à conserver les hôtels particuliers en façade et à démolir les constructions parasites en cœur d’îlot pour y construire un immeuble de bureaux neuf. Avec l’arrivée d’Ardian, nous avons retravaillé l’approche afin de profiter de la liaison commerciale forte entre les avenues Montaigne et George-V, en ligne avec la volonté de la Ville de Paris de recoudre ces deux grandes artères par l’introduction, dans chacun des hôtels particuliers, d’espaces commerciaux en partie basse.

Stéphanie Bensimon : Nous avons acquis cette opération dans le cadre de notre fonds value-added auprès de Lagardère, qui avait fait un appel d’offres ouvert suite au départ d’Europe 1. Nous avions une conviction forte sur le potentiel de conversion de cet actif en un immeuble beaucoup plus ouvert et assez unique pour la rue François-Ier. Au moment de l’acquisition, un projet avait déjà été initié par Calq Agence d’architecture. Nous l’avons retravaillé aux côtés de son président Jean-Philippe Le Bœuf, puis avec Tristan Auer pour les espaces intérieurs. Pour faire honneur à l’histoire de ce lieu, nous voulions un programme unique dans son usage comme dans son renouvellement. Le nom « Renaissance » évoque à ce titre le caractère historique du site, mais aussi le renouveau incarné par cette construction moderne. L’ensemble fait plus de 9 000 m2, dont 6 500 m2 sont alloués à un immeuble de bureaux neuf, auxquels 1 700 m2 de terrasses et de jardins viennent s’ajouter.

Tristan Auer : On doit toujours partir du parcours émotionnel, du ressenti des gens qui arrivent dans l’immeuble. Pour cette opération, qui représente l’un de mes premiers projets de bureaux, j’ai eu la chance d’hériter d’un très beau bâtiment, bien conçu et très intéressant à vivre. En tant qu’architecte d’intérieur plutôt spécialisé dans les hôtels particuliers et l’hôtellerie de luxe, ma philosophie et ma stratégie s’articulent autour du souci de mieux recevoir les gens pour qu’ils comprennent l’endroit, son environnement et son identité. Le séquençage de la progression était donc très important, depuis la façade extérieure et le porche jusqu’à la découverte du jardin, puis de ce bâtiment très moderne doté d’une certaine élégance parisienne.

Modernité

SB : Pour un investisseur value-added comme nous, tout l’enjeu est de savoir anticiper les bonnes solutions avec trois ou quatre ans d’avance. Même si la crise sanitaire a bouleversé les codes de l’immobilier tertiaire, certaines tendances de fond étaient déjà bien amorcées et ont guidé ce projet. Les occupants veulent de plus en plus se sentir bien dans les lieux.  Nous avons ainsi voulu de la transparence grâce aux vitrages pour mettre en valeur la verdure et l’architecture ancienne. Ici, les architectes se sont placés au service de l’utilisateur pour prioriser avant tout son bien-être, en créant un environnement haut de gamme et intimiste grâce à la signature décoration de Tristan Auer, qui a réalisé de nombreux palaces et hôtels prestigieux. Nous avons aussi souhaité un maximum de flexibilité dans l’organisation des espaces, ce qui est très important dans les immeubles tertiaires d’aujourd’hui. À titre d’exemple, l’auditorium peut être aménagé comme une pièce polyvalente selon les besoins des locataires avec un accès direct au jardin. Dans la même veine, chaque étage pourra au choix allier les espaces communs et privés. Cette adaptabilité permettra à Allen & Overy de s’approprier l’ADN du lieu et de s’en inspirer pour l’aménagement de leurs bureaux.

JPLB : Ce projet lancé en 2018 a été conçu dès le départ selon une thématique alliant la nature et l’ouverture, avec un maximum de prolongements extérieurs (jardins ou terrasses), de pénétrations, de vues. Ces éléments intégrés à même l’ADN du projet le rendent à la fois contemporain et patrimonial, selon une sorte de modernité pittoresque déclinée sur tous les étages. Nous avons par exemple posé des salles de réunion sur les toits de Paris, ouvert des terrasses et des vues sur le patrimoine environnant, et avant tout essayé de susciter des envies d’habiter et d’utiliser les espaces selon leur situation. Tous ces éléments imposent une singularité au projet et l’éloignent des codes immobiliers tertiaires classiques. Par ailleurs, les questions de modularité ont été poussées assez loin. Les hôtels particuliers ont par exemple été conçus avec la possibilité d’accueillir des commerces sur deux étages ou sur la totalité d’un hôtel particulier comme des flagships verticaux, par le truchement de nombreux escaliers, ce qui apporte une garantie supplémentaire en matière de réversibilité dans le futur.

TA : Il peut paraître facile aujourd’hui d’expliquer l’importance de la qualité des bureaux, mais nous avions déjà initié dès 2019 cette intelligence de mieux travailler ensemble et de mieux recevoir les clients, avant même de savoir qui serait l’occupant. Il faut que les gens aiment leur bâtiment, l’utiliser et y circuler. L’immeuble de bureaux doit donc proposer des lieux formels et informels, certains plus intimes pour pouvoir régler les enjeux personnels. Plus que jamais, nous devons essayer d’humaniser ces lieux communs servant à regarder, à discuter, à débriefer, et c’est pourquoi nous avons ajouté des angles ou de petites tablettes qui permettront d’échanger et de développer cette richesse d’humanité entre les gens. Plus que de la simple décoration, il faut une approche psychologique et sociologique de l’aménagement pour que cet endroit puisse changer la vie des gens qui l’habitent.

Excellence

TA : Il fallait que l’on comprenne que nous sommes dans le Triangle d’or. Avec Renaissance, on entre dans un immeuble du XIXe siècle pour ensuite passer au XXIe siècle. Il ne fallait surtout pas avoir une réception de face, mais plutôt que l’on comprenne la verticalité de l’immeuble afin que les gens aient envie de le découvrir. L’accueil et les espaces communs représentent en quelque sorte le menu, qui indique dès l’arrivée le niveau et les saveurs que l’on peut attendre. Nous retrouvons aussi cette richesse à l’intérieur, avec cet escalier monumental tout en travertin, structural tout en demeurant léger, qui devient l’articulation centrale de l’immeuble. C’est pourquoi nous avons choisi uniquement des matériaux nobles, issus d’artisans français et d’un vrai savoir-faire. Un autre choix a été d’accentuer les contrastes par une progression entre la lumière extérieure, les façades parisiennes en plâtre crème et l’intérieur un peu plus sombre. Nous voulions exprimer, dans ce quartier du Triangle d’or, un îlot d’excellence à la française. Jean-Philippe et moi sommes au service d’un client, d’une expérience et d’une sensation, pour qu’il s’agisse du meilleur endroit à habiter.

 JPLB : Le commerce vit en façade, mais assez secrètement, on va entrer dans un jardin pour trouver un cœur d’îlot un peu précieux dans lequel se niche un immeuble tertiaire. Celui-ci a été pensé pour lisser les différences de niveaux – il y en avait une vingtaine dans la construction précédente. Sur la partie basse, nous avons profité du dénivelé pour glisser les grands niveaux d’accueils où se trouveront notamment un espace de restauration et un auditorium. En accord avec les voisins, nous avons par ailleurs pu descendre les murs d’héberges pour profiter de leurs arbres tout en leur offrant une meilleure luminosité. En rez-de-jardin, on retrouve les espaces publics, à commencer par le lieu de restauration et l’auditorium, ainsi que de nombreuses salles de réunion. Le projet se démarque d’ailleurs par une abondance végétale, de nombreuses terrasses et beaucoup d’opportunités pour, au fur et à mesure que l’on monte, visiter les toits de Paris et profiter d’une vue exceptionnelle. Dans la distribution des bureaux, qui ne sont pas tout à fait classiques de par leurs formes, l’occupant pourra trouver des lieux informels comme une cafétéria, un salon ou un accueil.

SB : Ce programme représente une opportunité unique de créer un lieu qui allie histoire et modernité autant qu’il varie ses usages bureau et commerce. Avec l’ambition de profiter de ce linéaire long de 60 m pour prolonger l’offre commerciale de l’avenue Montaigne, nous avons apporté une attention particulière au mix locatif. En commercialisant sur toute sa hauteur le 26 bis auprès de la célèbre galerie d’art contemporain Hauser & Wirth, nous avons pu établir ces emplacements comme des destinations de luxe, ce qui en retour nous a permis d’attirer sur l’emplacement voisin la marque haut de gamme japonaise Issey Miyake ainsi qu’une troisième marque de luxe avec qui les négociations sont en cours. Mais la mixité des usages nous impose aussi de trouver la meilleure façon de favoriser une bonne cohabitation. Allen & Overy voulait pour ses bureaux des lieux transformants, modernes, mais dotés d’une identité propre. Renaissance possède ainsi les vertus d’un immeuble neuf, notamment sur le plan environnemental, tout en conservant le cachet inhérent à l’immobilier parisien. Grâce à cette restructuration, nous avons d’ailleurs pu économiser de 74 % les émissions carbone du bâtiment par rapport à sa version obsolète.  

Leurs bios

Stéphanie Bensimon : Diplômée de l’université Paris-Dauphine, Stéphanie Bensimon a amorcé sa carrière en 1999 en tant qu’analyste chez GE Capital. Après des passages chez CarVal Investors comme Investment Manager, puis chez Invesco Real Estate en tant que Head of Transactions France, Espagne et Italie, elle a rejoint Ardian en 2016 au poste de Head of Real Estate. Elle est en outre présidente du Cercle des femmes de l’immobilier depuis 2020, en plus d’agir à titre d’administratrice indépendante chez Mercialy et Poste Immo ainsi qu’au sein de l’Institut de l’épargne immobilière et foncière (IEIF).
Jean-Philippe Le Bœuf : Cofondateur de l’agence Calq en 1990, Jean-Philippe Le Bœuf est diplômé de l’Unité pédagogique 7 – Paris (1983) et titulaire d’un diplôme en urbanisme de l’Institut d’études politiques de Paris (1985). Architecte DPLG, il a cofondé l’agence Calq en 1990 et agit aujourd’hui en tant que président et associé. Il a supervisé à ce titre les nombreux grands projets de l’agence spécialisée en restructuration, tels que les opérations Kléber Étoile (2018), Hôtel George V (2019) ou Morland Mixité Capitale (2022).
Tristan Auer : Diplômé de Penninghen, école de direction artistique et d’architecture intérieure en 1996, Tristan Auer a ensuite fait ses premières armes chez Christian Liaigre puis chez Philippe Starck. Fondateur en 2002 de l’agence qui porte son nom, l’architecte d’intérieur a su imprimer sa marque à travers le monde dans les domaines du résidentiel et de l’hôtellerie de luxe. Parmi ses opérations iconiques, citons l’hôtel de Crillon et l’hôtel Sinner, à Paris, le Island Shangri-La, à Hong Kong, ou encore The Cotton House, seul hôtel de Mustique Island.

Leur projet commun

Siège historique d’Europe 1 depuis sa création en 1955, les quatre hôtels particuliers allant du 26 bis au 32 rue François-Ier, au cœur du Triangle d’or parisien, ont été acquis par Ardian début 2018 auprès de Lagardère. Suite à des investissements de 40 M€, le programme baptisé Renaissance et imaginé par le cabinet d’architecture Calq et l’architecte d’intérieur Tristan Auer a permis la restructuration et la rénovation des immeubles en façade ainsi que la construction d’une extension totalement neuve à l’arrière, pour un complexe mixte de 9 000 m2 voulu moderne, mais pittoresque, chic, mais flexible. 

Au terme de quatre ans de travaux, les 6 500 m2 de bureaux ainsi créés accueilleront le cabinet d’avocats d’Allen & Overy, signataire d’un bail de 12 ans ferme. Inscrits dans une volonté de prolonger l’offre commerciale de l’avenue Montaigne, quatre espaces commerciaux orientés résolument luxe, totalisant 2 500 m2, occuperont par ailleurs la façade. Déjà, la galerie d’art internationale Hauser & Wirth a signé un bail en état futur d’achèvement afin d’installer sur 800 m2 un espace d’exposition de 6 m de hauteur sous plafond au rez-de-chaussée et un autre au premier étage. Elle aura notamment pour voisin la célèbre marque japonaise Issey Miyake. En outre, le projet labellisé HQE et Breeam Excellent proposera 1 700 m² de jardins et terrasses.


Interview issue du Business Immo Global 189.

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