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Maud Caubet & Christophe Condamin

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Elle est l’une des architectes les plus prometteuses. Lui est l’un des grands patrons de l’immobilier les plus talentueux de sa génération. Leur rencontre, la première, porte un nom : « Les Lumières Pleyel » à Saint-Denis. Interview croisée de Maud Caubet, architecte, et Christophe Condamin, directeur général de Sogelym Dixence.

Photos : Xavier Lahache pour in interiors

CONFIANCE

Maud Caubet : L’histoire de notre première rencontre prend forme à travers Les Lumières Pleyel à Saint-Denis, dans le cadre d’Inventons la Métropole du Grand Paris. Rapidement, des workshops sont constitués avec un objectif audacieux : coécrire avec une pléiade de 50 partenaires – dont Snøhetta, architecte principal et paysagiste, Baumschlager Eberle Architekten, Chaix & Morel et Associés, Ateliers 2/3/4/, Mars Architectes et Moreau Kusunoki – une nouvelle figure urbaine pour ce territoire de Saint-Denis, tant sur le plan architectural que sur le plan social et culturel. La difficulté a été de s’accorder et de s’ouvrir à la critique pour coconcevoir un projet cohérent et sincère sur le long terme. Alors, pour instaurer un climat de confiance et de transparence, un chef d’orchestre était nécessaire. Fort d’une grande sensibilité architecturale, Christophe a tenu ce rôle avec art, tout en laissant le soin à chacun de s’exprimer librement.

Christophe Condamin : De Maud, je connaissais bien évidemment le travail et celui de son agence dont j’apprécie l’écriture architecturale. Néanmoins, sans Inventons la Métropole du Grand Paris, notre rencontre professionnelle n’aurait peut-être jamais vu le jour… Outre l’aspect purement « concours » de cet appel à projets, l’exigence et l’ambition fixées par le territoire pour le site de Pleyel ont été très formatrices pour notre équipe pluridisciplinaire. Concourir à l’écriture d’une nouvelle page urbaine pour ce quartier nécessitait d’être agile et en capacité de décloisonner le process afin que l’alchimie opère entre les différents protagonistes des Lumières Pleyel. Cette agilité, Sogelym Dixence a su la démontrer à travers d’autres projets d’envergure tels que l’îlot Ségur Fontenoy et le futur campus de Science Po à Paris. Si ce concours d’urbanisme, irrigué par Réinventer Paris, a indéniablement modifié le rapport de force entre les collectivités et les acteurs privés, il paraît nécessaire de ne pas le renouveler trop régulièrement. Car, au change, les projets pourraient perdre de leur sincérité.

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« Concourir à l’écriture d’une nouvelle page urbaine pour ce quartier nécessitait d’être agile et en capacité de décloisonner les process »


— Christophe Condamin

PERTINENCE

CC : De par notre présence sur ce territoire depuis la fin des années 1990 et notre passion pour les programmes immobiliers quelle qu’en soit l’envergure, il nous semblait naturel de participer à cet appel à projets. Á mi-chemin entre le Stade de France et les docks de Saint-Ouen, Les Lumières Pleyel, c’est l’émergence d’un nouveau morceau de ville avec pour fil d’Ariane, la mixité. Bureaux, logements, hôtel, résidences étudiantes, commerces, équipements culturels et sportifs se mêlent sur plus de 176 000 m2. À l’intérieur de chaque bâtiment, l’un des axes fondateurs importants consiste à libérer au maximum les rez-de-chaussée et socles des espaces privatifs pour redonner ces espaces au public avec une offre culturelle et sportive. Si l’un des principaux enjeux de notre projet vise à valoriser les espaces publics et les nouvelles mobilités, en parallèle, nous portons une grande attention à développer une architecture ouverte à la lumière naturelle et à son environnement. Comment trouver une unité à un lieu qui n’en a pas : telle était la commande.

MC : Avec l’ensemble de mes confrères, il nous a semblé indispensable de nous interroger sur la ville de demain. La réponse s’est imposée d’elle-même : mêler l’architecture et la nature, faire la part belle au paysage, mixer les usages et les services. À cette vision, se juxtapose une autre mission tout aussi délicate : développer un panorama urbain à l’identité forte, une nouvelle skyline pour le territoire. Ce quartier se dessine selon un mouvement doux et variable qui se propage comme une vague urbaine. Ce mouvement de liaison s’étend du nord au sud, avec comme point de démarrage la figure de la tour Pleyel, traverse le faisceau de la gare de l’architecte Kengo Kuma et se développe en ondes bâties et paysagères. La position centrale des Lumières Pleyel à l’échelle du territoire et sa vocation de « quartier pivot » entre les deux rives du faisceau ferroviaire appellent deux objectifs majeurs : faire œuvre de couture urbaine et créer un lieu singulier où la densité urbaine et la nature participent à créer une nouvelle expérience.

« Penser la ville de demain nécessite de mêler l’architecture et la nature, faire la part belle au paysage, mixer les usages et les services »


— Maud Caubet

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INSPIRATION

MC : Notre réflexion a porté sur l’immeuble et l’humain. Comment faire en sorte qu’un immeuble, objet inerte, devienne vivant ? Vivant, il le deviendra en recevant des hommes, des usages de plus en plus hybrides et en respectant l’environnement et le climat. Les Lumières Pleyel portent l’ambition de venir créer un dialogue entre le bâti et cette nature imaginée par Snøhetta, à travers un vaste parc. Les Scandinaves apportent une lecture différenciante de la place du végétal en milieu urbain : ils maîtrisent l’art d’inventer une architecture généreuse qui se veut paysage. Le paysage que l’on aime contempler, le paysage que l’on aime vivre. Inspirée par cette philosophie, j’ai dessiné des constructions qui prolongent les espaces verts sur leurs façades, dont la perception évoluera au fil des quatre saisons. Copier la nature ne doit pas devenir un diktat. Ne tombons pas dans la démagogie en voulant compenser le monde urbain par le monde rural ! Bien au contraire… Pour ce projet, nous nous inspirons de la nature comme le révèle l’hôtel que j’ai imaginé. Réversible, ce bâtiment devra être capable de respirer, de capter l’énergie, de la reproduire et de canaliser les flux pour favoriser le bien-être de ses occupants. Enfin, la culture et l’art participeront à ce vivant des Lumières Pleyel.

CC : Le vivant, c’est aussi la transparence, la lumière… Au-delà de cette thématique, notre travail prend en compte la notion de réversibilité, indispensable pour que les bâtiments puissent vivre des siècles, et la notion d’intensité urbaine. Pour concrétiser cette vision, nous collaborons sur le long terme avec les acteurs publics du territoire de la Seine-Saint-Denis et du Grand Paris afin de densifier les Lumières Pleyel. Tout en restant attentifs à intégrer la nature et la biodiversité.