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Carte blanche à… l’AUC

Photo à la Une : (De gauche à droite) Alessandro Gess, François Decoster, Djamel Klouche et Caroline Poulin, les quatre associés aujourd’hui de l’AUC. – © Andrea Montano

L’agence d’architecture et d’urbanisme l’AUC a été désignée Grand Prix de l’urbanisme 2021 par le ministère en charge de l’Urbanisme. Engagée dans la réparation et la régénération de la ville, elle fait renaître des territoires multiples en navigant à ses différentes échelles pour en déchiffrer la complexité et la singularité. Rencontre avec ses fondateurs.

Réfléchir sur la ville, voilà à quoi aspire l’AUC, agence d’urbanisme et d’architecture créée en 1996. L’AUC, ab urbe condita, « depuis la fondation de la ville » (une datation utilisée par la Rome antique), un collectif qui réunit aujourd’hui Caroline Poulin, Djamel Klouche, François Decoster et depuis peu Alessandro Gess avec une volonté commune de s’emparer de la question urbaine à toutes les échelles, de micro-espaces publics au Grand Moscou en passant par le Grand Paris comme par des expositions… Mais toujours avec une même exigence, et libéré des dogmes. Ce qui les intéresse : le projet dans son échelle individuelle, la navigation entre les échelles et la façon dont elles s’alimentent. « Quand nous réfléchissons à un territoire, nous regardons assez rapidement ses formes urbaines, ses architectures, ses infrastructures, énonce François Decoster. Loin d’être abstrait, chaque trait que nous dessinons est porteur de tous ces éléments. » Et à l’inverse, quand ils travaillent sur un bâtiment, les fondateurs de l’agence pensent son inscription dans un territoire. 

Pour échanger sur ses idées, l’AUC invente sa propre langue : Soho (pour Small Office Home Office), sol facile, matière vivante, espaces capables, condition métropolitaine comme contexte… Une langue étoffée d’un projet à l’autre (ou pas), au travers d’idées développées ou au contraire abandonnées. Une langue qui exprime « la valeur des contrastes, de la différence, de la singularité, de l’altérité et de l’hybridité plutôt que de la similitude et de l’uniformité ». Une langue où s’entrecroisent « le grand et le petit, le proche et le lointain, l’ancien et le nouveau, la nature, les gens, l’espace public, le territoire, l’habitat, la ville¹ ».
Quelques éléments de cette langue :

Soho. Small Office Homme Office. C’est la combinaison d’un lieu de travail et d’un lieu d’habitation. « Le concours de Chapelle International, à Paris 18e, posait une question : que faire au rez-de-chaussée dans cette “île enclavée” entre la rue de la Chapelle et le faisceau ferré », se souvient Djamel Klouche. L’AUC a imaginé le concept de Soho, non pas comme un lieu commerçant, mais productif et habitant. Il a justifié ce parti urbain en invoquant l’explosion de la micro-activité. Une préoccupation en lien avec la « ville productive ».

La ville productive. « En 2009, tout le monde parlait du logement, mais aucun discours n’était tenu sur l’emploi, rappelle l’architecte. La ville s’est vidée de ses artisans. » Pour lui, la ville, c’est habiter, travailler, se déplacer. Avec Chapelle International et les Soho, l’AUC a voulu inscrire ce quartier dans la géographie du Grand Paris. Rapprocher l’activité du lieu d’habitation, l’intégrer dans une économie plus circulaire et de courte distance.

Pleyel. L’AUC a mené une étude prospective pour le contrat de développement territorial de la culture et de la création à Saint-Denis Pleyel. Afin de sortir de la logique binaire tertiaire/logement, l’agence a misé sur la présence d’activités créatives à hauteur de 30 % dans le volet tertiaire. « L’ADN de la plaine Saint-Denis associait un appareil industriel, des infrasctrures, des logements individuels et collectifs, etc. ; ce caractère hybride nous a toujours intéressés », souligne Caroline Poulin. Et François Decoster de compléter : « Le 30 % créatif sur Pleyel doit permettre de maintenir une mixité de l’activité économique. »  

Les Courtillières. Un « magnifique grand ensemble d’Émile Aillaud ». L’AUC préconise de le conserver intégralement et de réactiver ses rez-de-chaussée avec des petits équipements, les ateliers, des pièces en plus, des lieux collectifs… On est en 2002. Le projet – le plus long de l’agence – porte sur un territoire situé entre Pantin et les villes limitrophes. « Le bout du bout de toutes les communes. » Il délimite un « grand quadrilatère », un champ opératoire repensé en lien avec le métro, une université, des logements étudiants, un centre de formation pour les apprentis… « Cette transformation a permis de renouveler les liens entre les communes rendant le grand ensemble structurant », analyse Caroline Poulin.

Sol Facile. C’est le vecteur d’une nouvelle urbanité du quartier de la gare de la Part-Dieu, à Lyon, à l’origine pensé pour l’automobile et au sol contraint par des fonctions, qui a un peu vieilli alors que ses principaux usagers sont des piétons. L’idée était de desserrer la gare et le pôle d’échange en dessinant « l’espace autour des flux et des usages plutôt que sur une composition rigide de fonctions² ». La fluidité du parcours du piéton s’opère dans toutes les directions. Les transports sont répartis dans l’espace alentour pour libérer un parvis de la gare proposant un vrai espace public et pas seulement un espace fonctionnel. « Le passant y découvre des arbres et la bibliothèque que l’on ne voyait pas avant », illustre François Decoster. Et de compléter : « Le programme arrête de tout segmenter. Différentes strates viennent s’articuler les unes avec les autres de manière assez souple sans forcer les directions. » 

De Hanoï, « où on a fondé notre critique de l’urbanisme classique », précise Djamel Klouche, à l’« espace capable » qui induit que le projet ne définit pas tout à l’avance de manière à « gérer l’indéterminé », le temps (long) du projet, en passant par la « matière vivante », « la somme des surfaces capables » (rires) ou encore la « condition métropolitaine comme contexte » (ou le sentiment d’habiter dans une métropole et pas uniquement dans son quartier, autrement dit l’« anti-ville du quart d’heure »)… Autant de lieux, d’idées, de mots qui participent d’une démarche : rendre visibles des choses qui sont invisibles avec des méthodes classiques et continuistes. « Tous les systèmes de lecture du monde sont devenus obsolètes. Nous essayons de comprendre les territoires à toutes les échelles de manière à engager des visions plus ouvertes », énonce Djamel Klouche. Et à ne pas enfermer la ville et l’architecture dans un discours de prescriptions. Avec des mots comme « interprétation », « dialogue », « correspondances », qui font pleinement partie de leur langue.  


1. « L’AUC par l’AUC », in Ariella Masboungi et Antoine Petitjean, La Ville. Matière vivante, Éditions Parenthèses, 2021, p. 35.
2. « Ab Urbe Condita. Depuis la fondation de la ville », in La Ville. Matière vivante, op. cit., p. 31.
Le « sol facile », à la Part-Dieu, à Lyon, articule différentes strates entre elles sans forcer les directions. - © Antoine Espinasseau

Article issu du numéro 183 de Business Immo Global.

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