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« Ces crises sanitaires, environnementales, économiques nous obligent à nous adapter »

Dans ce contexte totalement inédit de confinement lié au coronavirus, la rédaction d’in interiors a souhaité donner la parole à des architectes pour savoir comment ils s’organisent, envisagent la question du chantier et l’impact de la pandémie sur leur pratique. Entretien avec Guillaume Hannoun qui, en 2007, a créé Moon Architectures « pour conquérir de nouveaux espaces ».

 

in interiors : Poursuivez-vous votre activité en cette période de confinement ?

Guillaume Hannoun : Nous sommes organisés en télétravail, pour une partie de l’agence. Quelques sujets sont encore possibles à traiter sur des études ponctuelles, mais nous avons besoin d’échanger, entre nous et avec les autres. Nous n’allons donc pas tenir longtemps comme cela, isolés…

 

ii : Êtes-vous favorable à l’arrêt des chantiers ? Ou pensez-vous qu’il est possible de les maintenir dans de bonnes conditions sanitaires ?

GH : C’est LE sujet qui occupe la plus grande partie de mes journées : doit-on arrêter, peut-on continuer ? Les instructions de l’État sont totalement contradictoires et chacun interprète au jour le jour, avec des chantiers arrêtés le lundi qui doivent reprendre le mercredi ! Cela ne me semble pas sérieux.

Pour ma part, je suis preneur de solutions, mais comment faire tourner sérieusement un chantier lorsque les plates-formes d’approvisionnements sont à l’arrêt, les usines des fournisseurs aussi, que les gars se déplacent à plusieurs dans une camionnette, se croisent dans les baraques de chantiers et doivent nécessairement pour certaines tâches travailler ensemble, à proximité… ? Dans le contexte actuel, personne ne veut ni ne va prendre la responsabilité d’obliger des gens qui ne le souhaitent pas à venir s’exposer ainsi…

 

ii : Quelles sont les conséquences pour vous de l’arrêt des chantiers ?

GH : Les conséquences sont très difficiles à estimer à ce stade, mais très concrètement, nous avons une baisse très significative de notre activité. Avec trois chantiers en cours à différents coins de la France et d’autres à lancer, nous sommes à l’arrêt total sur ces sujets !

À court terme, je crains que les conséquences économiques de cette crise ne soient catastrophiques pour le monde du bâtiment en général et pour nous aussi… Pour rester positifs cependant, à plus long terme, il paraît que la reprise est toujours très forte après une guerre ; alors puisque nous sommes en guerre…

 

ii : Comment imaginez-vous la reprise ?

GH : Je ne sais absolument pas comment tout cela va repartir. Cela dépendra fortement de combien de temps ça dure, quel niveau de confinement nous aurons tous subi, du nombre de décès aussi malheureusement. Au regard de cela, soit on repartira comme avant, pied au plancher sans rien changer, soit on sera capable collectivement de remettre sérieusement à plat le système, de se rendre compte que la diminution de l’activité et donc de la pollution en Chine aura peut-être sauvé plus de gens in fine qu’il n’y aura eu de morts avec le Coronavirus… ?

Côté immobilier, sur le long terme, on peut espérer que les façons de fabriquer des bâtiments vont également évoluer, notamment dans le sens de plus de préfabrication et de construction hors site, permettant donc de meilleures conditions de travail pour les ouvriers, moins de nuisances pour les riverains et pour l’environnement… C’est en tous cas ce à quoi nous croyons beaucoup et c’est un processus sur lequel nous sommes très engagés et avancés. Nous avons livré plusieurs bâtiments en France dans des délais très courts !

 

ii : Avec les crises environnementales que nous avons jusque-là traversées, sanitaire aujourd’hui et économique demain, comment l’architecture et plus largement la ville doivent-elles s’adapter, selon vous ?

GH : Ces crises sanitaires, environnementales, économiques nous obligent à nous adapter. C’est d’ailleurs l’une des grandes qualités de l’humain que de savoir le faire. Mais il faut sûrement aller beaucoup plus loin. Nous travaillons depuis quelque temps sur un concept d’architecture liquide : il s’agit de prendre en compte la vitesse (si chère au philosophe Paul Virilio) dans l’architecture et dans la ville et de considérer que l’on ne peut plus concevoir des bâtiments en figeant dès le départ leur usage, pour l’éternité… Nous avons aujourd’hui des outils pour créer des bâtiments réversibles, adaptables, transformables qui savent évoluer intelligemment.

À l’échelle urbaine, je lisais récemment un tweet de Marion Waller, directrice adjointe de cabinet de Jean-Louis Missika, parlant d’urbanisme tactique. Cela reprend cette même idée de ne pas figer les choses pour l’éternité, mais d’au contraire imaginer des systèmes, durables, réversibles, qui facilitent l’adaptation et la transformation pour répondre aux changements radicaux d’habitudes et de modes de vie que nous pouvons vivre de différentes manières, soit en les subissant, soit en transformant ces contraintes en opportunités…

 

Photo :  © DR