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« Avec cette crise sanitaire, impossible de repartir en se disant : « Comme avant ! » »

Dans ce contexte totalement inédit de confinement lié au coronavirus, la rédaction d’in interiors a souhaité donner la parole à des architectes pour savoir comment ils s’organisent, envisagent la question du chantier et l’impact de la pandémie sur leur pratique. Entretien avec Julien Rousseau qui, en 2007, a cofondé Fresh Architectures avec Ulisse Gnesda et Luca Battaglia.

 

in interiors : Comment réagissez-vous face au confinement en termes d’organisation du travail avec vos équipes et vos partenaires ?

Julien Rousseau : Télétravail dans la mesure du possible ! L’ensemble de la profession, l’ensemble de la chaîne des métiers de l’immobilier sont dans une situation commune. Nous faisons un métier moyen/long terme et les effets de cet arrêt brutal de l’activité posent des questions d’organisation et surtout de responsabilité. Engagement auprès de nos MOA, relations avec l’entreprise et soutien des partenaires primordiaux que sont les équipes d’ingénieur qui nous entourent.

Les grèves de décembre et d’autres aléas extérieurs ont finalement eux ce bénéfice pour les entreprises comme FRESH de mettre en place des stratégies alternatives pour poursuivre nos missions qu’elles soient liées à la conception ou à la direction de travaux.

 

ii : Êtes-vous favorable à l’arrêt des chantiers ? Ou pensez-vous qu’il est possible de les maintenir dans de bonnes conditions sanitaires, et si oui, lesquelles ?

JR : Simple et compliqué ! Notre responsabilité immédiate au-delà des consignes du gouvernement est d’aider et rappeler à l’entreprise ces devoirs en matière de sécurité pour les ouvriers du bâtiment au sens large : aujourd’hui, il faut faire prévaloir la protection des travailleurs, un point c’est tout.

Or force est de constater que la chaîne des métiers du bâtiment comporte des maillons ; lorsqu’un fait défaut, l’ensemble est mis en péril et notamment la sécurité des personnes. La chaîne d’approvisionnement de sous-traitants, l’absence des visites sur sites pour vérification des consignes de sécurité, les difficultés d’accès par la mise en place des restrictions de circulation perturbent ces équilibres fins qui permettent à un bâtiment de s’ériger dans les temps.

Préserver le tissu économique et le faire redémarrer dans les meilleures conditions sera le prochain enjeu après cette crise sanitaire.

 

ii : Quelles sont les conséquences pour vous de l’arrêt des chantiers ?

JR : Le temps du chantier c’est d’un côté les visas et de l’autre leur mise en œuvre. Lorsque les grues s’arrêtent et que le site est bloqué, un atterrissage plus lent existe, c’est celui des visas si toutefois l’entreprise est en mesure de faire travailler des équipes en étude. Notre position est de faire en sorte, dès lors que nous avons des documents à viser, de profiter de cette pause pour affiner le projet.

Soyons concret, nos métiers sont des métiers de moyen, voire long terme. Nous sommes moins impactés que d’autres métiers à l’image de la restauration ou l’hôtellerie. Nous pouvons assurer pour un temps la continuité de notre travail. Cela commencera à devenir problématique si cette crise perdure.

 

ii : Est-ce que ce confinement peut avoir des aspects positifs sur la pratique de votre activité ? Si oui, lesquels ?

JR : Un architecte est un métier gigogne : il possède plusieurs métiers et également plusieurs échelles de temps. Si cette crise nous empêche de faire un certain nombre de choses à l’image des chantiers, elle nous permet tout de même d’avancer sur d’autres sujets sans subir de pressions externes de nos partenaires. Nous avons décidé chez FRESH d’investir dans ce temps qui nous est donné pour se réinventer. Non pas dans une logique d’optimisation, mais plutôt dans une recherche de sens à ce que furent ces dernières années d’emballement de la construction.

Télétravailler c’est possible, voire même stimulant. C’est l’aboutissement du numérique. Il ne manquait plus que cela pour partager plan, dessins, coupes et perspectives. Explorer de nouvelles méthodes de travail se sentir précurseur d’un monde nouveau compense dans ces premiers temps une solitude imposée. Reste à comprendre si cette dématérialisation sera prolifique sur le long cours, car ce n’est qu’au bout de plusieurs semaines que des contraintes extérieures, de sociabilité vont survenir.

 

ii : Quelles seront les conséquences économiques pour vous, à votre avis ?

À court terme le choc immédiat est, semble-t-il, absorbé par les annonces du gouvernement qui sont ambitieuses.

À moyen long terme, c’est une histoire qui reste à écrire puisque la singularité de ce qui se passe aujourd’hui dans le monde appellera une réflexion profonde de notre profession. Impossible de repartir en se disant : « comme avant » ! Investissons ce temps qui s’offre à nous.

 

ii : Comment imaginez-vous la reprise ?

JR : Chez FRESH, nous avons mis en place une plate-forme de partage entre les collaborateurs qui sont très motivés. Chacun y dispose une idée, un dessin, une envie. Demain nous serons plus solides d’avoir su travailler à distance, forts des idées qui auront émergé dans ce temps long obligé.

 

ii : Avec les crises environnementales que nous avons jusque-là traversées, sanitaire aujourd’hui et économique demain, comment l’architecture et plus largement la ville doivent-elles s’adapter selon vous ?

JR : La crise environnementale est là ! La crise sanitaire doit être le déclencheur d’un questionnement plus vaste. Agilité, intelligence collective seront les prérequis pour imaginer la ville de demain.

 

Photo : Les cofondateurs de Fresh Architectures. © DR