Haut

« Pourquoi il est possible d’installer du bureau dans les centres commerciaux »

Photo à la Une : Patricia Rotondo © Antunovich Associates

Pallier la vacance des centres commerciaux grâce au coworking. Le projet de Patricia Rotondo et ses confrères du cabinet américain Antunovich Associates a séduit le jury de la Next Work Environment Competition en 2021 qui a su percevoir, derrière « l’idée très pertinente », une réflexion passionnante sur l’avenir de la ville.

Business Immo Global : Pouvez-vous nous présenter votre projet, The Migratory Office ?

Patricia Rotondo : L’idée de départ consiste à construire des espaces de bureaux partagés à l’intérieur des centres commerciaux. Nous nous sommes appuyés sur deux phénomènes structurants que la pandémie de Covid-19 a contribué à accélérer. D’une part, le développement massif du télétravail, alors que beaucoup d’employés ne disposent pas de quoi travailler chez eux dans de bonnes conditions. D’autre part, l’explosion du commerce en ligne qui entraîne de la vacance dans les centres commerciaux. Ce vide, nous avons eu pour idée de le remplir en installant des espaces de travail partagés dans les cellules commerciales vacantes. Concrètement, nous proposons aux propriétaires de centres commerciaux des espaces de 30 pieds carrés [un peu plus de 9 m2, ndlr] livrés en kit avec différentes possibilités d’aménagement. Ces bureaux satellites, éclatés en différents endroits d’une métropole, permettent de rapprocher les lieux de vie et les lieux de travail, comme le souhaitent les employés. Ils préfèrent rester dans leur environnement local : travailler, vivre et se divertir dans leur quartier. Installer des espaces de bureaux dans des centres commerciaux en déshérence comporte également l’avantage d’attirer une nouvelle clientèle.

BIG : Quel type de centre commercial est susceptible d’accueillir votre concept ?

PR : Nous nous sommes concentrés dans nos recherches sur les centres commerciaux milieu de gamme, en périphérie des grandes villes. Nous en avons décompté plus de 300 aux États-Unis. Ces sites souffrent généralement d’une vacance structurelle qui met à mal leur chiffre d’affaires, en particulier après la crise sanitaire, tout en disposant d’atouts de taille. Avant d’implanter ces actifs, les investisseurs privés ont pesé et soupesé des données précises sur le lieu, concernant sa démographie ou sa desserte en transports notamment. Ces centres commerciaux ont souvent été construits en périphérie des centres-villes pour jouxter les habitations, conformément à ce que les urbanistes ont théorisé comme « l’effet donut », tandis que les bureaux ont conservé leur centralité. Cette proximité avec le lieu de vie et l’excellente connectivité nous semblent parfaitement alignées avec la volonté de réduire les temps de trajet quotidien. Mais ce n’est pas tout. Ces centres commerciaux proposent une offre de services très profitable pour les employés. Restaurants, supermarchés, salles de sport, garderies, centres de santé… Les télétravailleurs trouvent à proximité immédiate de leur bureau tout ce dont ils ont besoin.

BIG : Avez-vous pu déjà décliner le concept ?

PR : Pas encore, mais nous avons réalisé une étude de cas assez précise sur le Golf Mills Shopping Center, situé à Niles, dans la proche banlieue de Chicago. Ce centre commercial construit en 1960 est caractéristique de notre ambition, avec ses 102 000 m2 de surface locative, son développement à usage mixte et sa très bonne accessibilité.

BIG : Quelles transformations sont nécessaires pour qu’un centre commercial de ce type accueille un « bureau satellite » comme ceux que vous avez imaginés ?

PR : Les centres commerciaux des années 1960-1970 ont été pensés comme des boîtes hermétiquement fermées. Notre premier geste architectural consiste à ouvrir le bâtiment sur l’extérieur. Dans l’étude de cas sur le Golf Mills Shopping Center, nous avons créé quatre grandes cours intérieures végétalisées pour amener la nature à l’intérieur. Nous avons également ouvert le toit par endroit pour faire entrer la lumière naturelle et avons vitré des pans de la façade. En ce qui concerne l’aménagement intérieur des bureaux partagés, nous avons intégré les codes de l’hôtellerie et du résidentiel en prêtant attention à l’expérience client. Selon nous, la crise sanitaire a accentué une demande de confort sur le lieu de travail. C’est pourquoi la recherche d’un équilibre entre l’esthétique, l’élégance et la durabilité des matériaux et le mobilier a été complexe, mais nécessaire. Pour répondre aux différents besoins des entreprises, nous avons également multiplié les configurations possibles : hall d’entrée, cafétéria, travail en équipe, cabines de travail individuel, centre de réunion et pièce à vivre. Les occupants sont libres de disposer, selon leur convenance, de ces différents postes de travail d’environ 9 m2 chacun.

BIG : Pensez-vous que le projet The Migratory Office pourrait s’exporter à l’avenir ?

PR : Oui, à condition de l’adapter à l’architecture des centres commerciaux des différentes zones du monde. Aux États-Unis, le gigantisme de nos « malls » nous permet de segmenter l’espace en cellules d’environ 9 m2, mais ce n’est sans doute pas le cas partout. Je sais qu’en Asie, par exemple, les centres commerciaux sont construits verticalement en raison du coût très élevé du foncier. Quoi qu’il en soit, les problématiques qui ont guidé nos réflexions sont largement partagées, bien au-delà des frontières américaines.

BIG : Outre ce projet, quels principes doivent présider selon vous à la réflexion des architectes et des urbanistes dans les années à venir ?

PR : Qu’est-ce qui est le mieux pour la personne qui utilisera l’espace que je suis en train de confectionner ? Voilà la question que doivent toujours se poser les architectes et les designers. C’est pour tenter d’y répondre que nous avons créé The Migratory Office. Le bien-être des individus nous invite à concevoir aujourd’hui un urbanisme aux dimensions plus réduites, où le quartier devient le mètre étalon et les centres-villes se démultiplient. La diffusion du télétravail offre de ce point de vue des possibilités encore inespérées il y a quelque temps. Il faut également veiller à bâtir une ville plus durable face à l’inexorable réchauffement de la planète. La restructuration d’espaces vacants constitue une priorité absolue, dans la mesure où elle évite toute la pollution inhérente à l’acte de construire. Sans compter que limiter les déplacements, comme doit le permettre The Migratory Office, entraîne de fait une réduction des émissions liées au transport.

 

© The Migratory Office

En partenariat avec Le French Design by VIA


Article issu du numéro 185 de Business Immo Global.

Pour consulter le numéro dans son intégralité, cliquez ici