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Télétravail et QVT : préparer pour ne pas réparer

Photo à la Une : © agcreativelab / Adobe Stock

Conséquence des mesures sanitaires de confinement et de fermeture des entreprises, mais également de la paralysie des réseaux de transport durant les mobilisations contre le projet de réforme des retraites, le télétravail est aujourd’hui au cœur de multiples débats : économiques, sociaux, sociétaux, managériaux… Ainsi, cette organisation du travail interroge. Ergonomie du poste de travail, séparation et/ou équilibre entre sphères professionnelle et privée, modalités de coordination et de contrôle du travail, digitalisation et nouveau(x) rapport(s) au travail : les enjeux soulevés sont multiples, ses avantages et apports potentiellement aussi nombreux que ses inconvénients et limites, notamment au niveau de la santé et de la sécurité des salariés.

COVID-19 et confinement : un télétravail essentiellement subi

Le télétravail est défini comme « toute forme d’organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l’employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon volontaire en utilisant les technologies de l’information et de la communication ». C’est ainsi qu’il doit être « mis en place dans le cadre d’un accord collectif ou, à défaut, dans le cadre d’une charte élaborée par l’employeur après avis du comité social économique, s’il existe » . Il peut prendre de multiples formes : télétravail occasionnel, informel, en débordement, réalisé de façon nomade ou alternée, etc., allant parfois jusqu’à se confondre avec d’autres formes d’organisation, notamment le travail à distance.

L’épisode de confinement et de fermeture forcée des entreprises nous a permis d’assister à une forme inédite (et non représentative) de ce qu’est le télétravail : un télétravail subi, peu préparé, voire improvisé, sans réelle volonté du salarié et/ou de l’encadrement. Ce manque de préparation a potentiellement donné à voir le « mauvais côté » du télétravail : le blurring, désignant une frontière de plus en plus floue et perméable entre sphères professionnelle et privée, a souvent été pointé du doigt. D’autres éléments peuvent être relevés : augmentation perçue et/ou réelle de la charge de travail, du sentiment d’isolement, perte des liens sociaux, conflits entre le télétravailleur et sa famille, etc. De plus, l’absence de contrôle physique sur le lieu de travail a pu engendrer un contrôle à distance accru, autour du délai de réponses aux courriels, des heures de connexion du télétravailleur, etc. L’apparition de « risques technosociaux » est également à relever, en lien avec l’usage des outils numériques, risques s’ajoutant aux classiques risques physiques et troubles musculo-squelettiques, du fait notamment de l’aménagement improvisé d’un espace de travail à domicile, aux normes de santé et de sécurité rarement respectées.

Penser en amont la Qualité de Vie en Télétravail

Sortir de l’urgence de la période de confinement et penser le télétravail en amont est un levier incontournable de prévention des risques et de promotion de la QVT. En effet, cette forme d’organisation du travail doit être pensée entre les différentes parties prenantes, adaptée aux caractéristiques du travail et du télétravailleur et mise en place de façon progressive, dans le cadre d’une négociation collective, traduite par un accord ou une charte. Le cadre doit être défini, clair, diffusé et accepté par l’ensemble des acteurs. Cela peut concerner la répartition des tâches, les plages horaires de travail, les temps de disponibilité du télétravailleur, les temps de réunion, les modalités de communication, les circuits d’information, les outils à utiliser (sans oublier la formation à ces outils), etc. Au niveau managérial, le télétravail ne doit pas être mis en place sans accord formel autour des modalités d’évaluation du télétravail, ses critères, les outils de suivi et de contrôle. En effet, dans une organisation du travail caractérisée par la distance physique entre encadrant et subordonné, la supervision et le contrôle directs tendent à laisser place au management par objectifs, à la confiance et à l’autonomie.

L’espace de travail du télétravailleur doit être, autant que possible, dédié, isolé et ergonomique, et son temps de travail ponctué de temps de pause réguliers, notamment au moment du déjeuner. Il est ainsi fortement recommandé de développer des rituels de travail « comme si on allait au bureau » : réveil à une heure précise, préparation, pauses, etc. Cette respatialisation du travail dans la sphère privée doit permettre d’éviter une situation « entre-deux », situation inconfortable pour le télétravailleur comme pour sa famille. Il est également fondamental de développer une réelle politique de prévention, axée tant sur les TMS que sur les différents risques précités. Enfin, la mise en place d’une assistance en ligne ou téléphonique, visant à faciliter le travail à distance et également à lutter contre l’isolement social, est à favoriser.

Ainsi, penser en amont la qualité de vie en télétravail doit permettre à l’organisation d’accroître la productivité et la réactivité des salariés, du fait notamment d’un moindre temps passé dans les transports et d’une activité réalisée dans un environnement familier. Le télétravail peut également contribuer à réduire les coûts de l’immobilier d’entreprise tout en améliorant son empreinte carbone. Pour les salariés, la réduction du stress et de la fatigue, physique et mentale, liés aux transports ainsi que l’ajustement des temps professionnels, sociaux, familiaux et personnels constituent des atouts indéniables. Plus globalement, le télétravail est un outil de flexibilisation de l’activité de travail adapté à un contexte économique qui évolue de plus en plus vite.

Les enjeux du « monde d’après »

Penser le télétravail et le travail digitalisé est aujourd’hui nécessaire. Dans un contexte de diffusion des technologies de l’information et de la communication, du développement des structures dédiées (notamment l’arrivée prochaine de la 5G), mais également au moment où les cadres légaux s’enrichissent et les mentalités évoluent, les organisations ne peuvent faire l’économie de ces réflexions, notamment dans une perspective QVT. Le « cas de force majeure » que nous venons (et continuons en partie) de vivre est ainsi une formidable occasion de repenser le travail. À terme, une fois les mesures de confinement définitivement levées et le retour à la normale acté, il conviendra de tirer les leçons de cet épisode exceptionnel. Comment repenser nos organisations classiques ? Les modèles managériaux ancrés depuis tant d’années ? Le rapport au travail digitalisé ?

Concernant plus spécifiquement la QVT : quelles nouvelles relations manager/managé ? Quels nouveaux équilibres travail/hors-travail ? L’autonomie et la confiance seront-elles favorisées ? La balle est aujourd’hui dans le camp des entreprises, des directions, mais également des salariés et de leurs représentants, pour tirer les leçons de cette période de télétravail souvent subi et, idéalement, de co-construire de nouvelles manières de travailler, la co-construction étant notamment au fondement d’une « bonne QVT ».


Tarik Chakor – © DR

Tarik Chakor, est maître de conférences en sciences de gestion à l’Université Savoie Mont Blanc.