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Le logement connecté, nouvel eldorado pour les promoteurs immobiliers ?

© AA+W

Si le succès des objets connectés n’est plus à prouver en 2019 – 47 % des Français déclarant en posséder au moins un –, le marché du logement connecté tarde, lui, à décoller en France. La catégorie regroupe pourtant une multitude d’équipements de la maison que nous utilisons quotidiennement dans leur version « non connectée » : lampes, thermostats, dispositifs de sécurité, volets roulants, détecteurs de fumée, etc. Si certains évoquent la confidentialité des données comme principale barrière à l’achat, les recherches montrent que le frein est avant tout financier. D’après le baromètre Qualitel 2018, 75 % des Français considèrent que des prix trop élevés les dissuaderaient d’équiper leur logement en objets connectés. Cette barrière a également des implications pour les promoteurs immobiliers, dont la part de logements connectés a connu une faible croissance. Les promoteurs, Nexity et Bouygues Immobilier en tête, développent leurs offres « smart home » depuis plusieurs années et ont déjà livré plusieurs appartements pilotables depuis leurs applications smartphone. Mais la contrainte financière reste majeure, même pour ces géants du bâtiment : construire un logement connecté coûte encore trop cher (le surcoût à la construction est estimé entre 1 000 et 3 000 € par logement) et les acquéreurs ne sont pas prêts à voir ces coûts répercutés sur les prix à l’achat, privilégiant à ce prix-là le mètre carré en plus. On constate donc que les Français achètent aujourd’hui leurs objets directement en grande surface, au gré de leurs envies et des dernières nouveautés, mais qu’ils n’ont pas encore conscience des bénéfices que peut apporter un écosystème domotique prêt à l’emploi sur l’ensemble de leur logement.

 

Une accélération prévue en 2019

L’intérêt stratégique pour les promoteurs reste néanmoins important à court et moyen termes. À court terme, une application en leur nom, utilisée quotidiennement pour piloter le logement, est un atout marketing qui leur permet de garder contact avec leurs clients et de gagner en notoriété auprès des locataires des appartements, futurs acquéreurs potentiels. À moyen terme, c’est aussi l’opportunité de passer d’un modèle de constructeur de biens immobiliers à celui de fournisseur de services liés à la vie du logement. Comme l’explique Nicolas Oyarbide, directeur du programme « Logement connecté » du Groupe Pichet : « Nous sommes un promoteur intégré : nous couvrons les métiers de la construction, de la promotion et de l’exploitation. Apporter du service à nos résidents est donc dans notre ADN, comme nous le faisions jusqu’à présent avec notre filiale d’administration de biens (location, gérance, syndic). Nous sommes convaincus que le logement connecté sera un standard d’ici quelques années, et nous devons être prêts. »

Pour réaliser cet objectif, les promoteurs s’appuient désormais sur des sociétés spécialisées en domotique tel que Somfy via TaHoma et Overkiz, notamment pour assurer la connectivité entre les différents objets. Les équipementiers français Schneider et Legrand, ce dernier ayant racheté la pépite Netatmo en 2018, jouent également un rôle de référence en travaillant sur la technologie des objets. Les promoteurs peuvent aussi entrer dans le capital de start-up afin de construire leur offre d’équipements et le socle technique (notamment l’application mobile) qui permet de les connecter et de les piloter à distance. Ces différents types de partenariats sont très utiles dans un environnement où la technologie évolue vite et où les standards tardent à émerger. En effet, dans l’internet des objets (ou « IoT » pour « Internet of Things »), des dizaines de protocoles radio se sont longtemps fait concurrence et il a fallu attendre plusieurs années avant que certains protocoles deviennent des références, comme le deviendront probablement le Bluetooth ou le ZigBee. Les équipementiers ont également longtemps proposé des équipements en écosystème clos, sans possibilité de communiquer avec d’autres applications et des objets d’autres marques, ralentissant la structuration du marché. Cependant, la tendance est aujourd’hui à l’ouverture des écosystèmes, ce phénomène s’accélérant avec la démocratisation des assistants vocaux qui se veulent compatibles avec le plus grand nombre d’objets, et à la baisse du coût des objets qui conduit les promoteurs à proposer des écosystèmes IoT complets et attractifs pour leurs résidences neuves.

 

Un marché profitable dans l’avenir, mais pour qui ?

S’il ne fait pas de doute que le développement des écosystèmes connectés aura des bénéfices pour les usagers, la profitabilité de ce marché pour les acteurs économiques de cette nouvelle chaîne de valeur est moins prédictible.

Dans ce contexte de consolidation du marché, les promoteurs sauront-ils trouver leur place ? Face à eux se présentent trois typologies de concurrents. En concurrence directe, les différents promoteurs cherchent à gagner des parts et à accroître leur pourcentage de résidence connectée, comme par exemple Bouygues Immobilier qui a connecté 24 % de ses programmes proposés à la vente entre 2016 et 2018. Mais ils ne sont pas seuls : les retailers construisent également leur propre écosystème, à l’instar de Leroy Merlin qui a lancé en 2018 son boîtier connecté Enki pour piloter les équipements de différents constructeurs. De leur côté, les géants du Web tels que Google et Amazon ont sorti leurs assistants vocaux (respectivement Assistant et Alexa), tandis qu’un fournisseur d’accès internet comme Free a muni sa nouvelle Freebox Delta d’une compatibilité avec plusieurs protocoles IoT. Pour chacun, le principal enjeu est de ne pas être dépassé alors que les attentes des consommateurs changent vite et que les socles technologiques sont en perpétuelle évolution. Les promoteurs immobiliers ont néanmoins un avantage certain, issu de leur positionnement historique : ce sont les seuls à pouvoir fournir une offre intégrée clé en main, en installant les équipements connectés directement dans les murs du logement. Un client acquéreur d’un logement connecté bénéficie alors d’une offre intégrée dès son installation, sans devoir installer et configurer ses objets comme il doit le faire en achetant lui-même ses objets. Cela sera-t-il suffisant pour concurrencer les Gafa et leurs solutions de pilotage à la voix ? En tout cas, il y a fort à parier que les promoteurs ont tout à gagner en devenant des acteurs incontournables de cette nouvelle chaîne de valeur, se positionnant comme spécialiste de la Smart Home, entre retailer et Gafa.

Sans certitude quant au potentiel business de ce marché, les promoteurs continuent à le structurer et le développer pour l’intérêt de leurs clients, comme nous l’explique Nicolas Oyarbide (Groupe Pichet) : « Pouvons-nous combattre l’hégémonie des Gafa s’ils décident de faire réellement de la Smart Home leur relais de croissance ? Probablement pas. Mais notre métier est de construire des logements qui anticipent les modes de vie de leurs résidents, et contribuent à les faire émerger. À date, la proposition de Google Home, par exemple, n’est pas suffisante. Nous rendons possible le logement connecté dès à présent, tout en restant compatibles avec le scénario que l’avenir retiendra. »

Jean-Michel Huet, Bearing Point © DR

Sébastien Guéchot, Bearing Point © DR

Cyril Petel, Bearing Point © DR