Haut

L’Hôtel logistique des Ardoines / Pierre Bell-Lloch, Pascale Dalix & Jonathan Sebbane

En lieu et place d’une friche industrielle et ferroviaire polluée pendant des décennies, Sogaris a livré en début d’année au sein de la ZAC Gare Ardoines de Vitry-sur-Seine un hôtel logistique de 35 000 m2. Réflexions croisées sur une opération mixte à la rencontre de multiples enjeux urbains avec Pierre Bell-Lloch, maire de Vitry-sur-Seine, Pascale Dalix, cofondatrice de l’agence ChartierDalix, et Jonathan Sebbane, directeur général de Sogaris.

Ville plurielle

Jonathan Sebbane : Ce site n’est pas un coup de folie, mais le fruit de convictions très profondément ancrées chez Sogaris qui nous ont conduits à privilégier ce bâtiment mixte et vertical dont nous avons travaillé la compacité. Ce n’est pas un entrepôt, mais un hôtel logistique : il a été pensé comme une pièce de ce futur quartier des Ardoines, en réfléchissant à la cohabitation de son activité, créatrice d’emplois, avec l’ensemble des habitations construites ou à venir.
Ce bâtiment est ce que l’on appelle un hôtel logistique, c’est-à-dire qu’il se caractérise par sa mixité programmatique – logistique, activité, commerce et agriculture urbaine – ainsi que sa verticalité, particulièrement importante pour la réutilisation du foncier à des fins productives. La compétitivité pour le foncier est rude, alors que le besoin en activité productive est fort. Or, avec ce projet, nous venons réintroduire sur ce territoire historiquement industriel des activités productives.

Pascale Dalix : Ce bâtiment est un feuilleté de programmes. Il accueille de grandes cellules au rez-de-chaussée, investi par la messagerie UPS, et du commerce avec l’enseigne Point.P. Les volumes de l’étage sont occupés par de l’artisanat et de la petite production qui peut éventuellement vendre directement au public sur place. Quant aux toits, ils accueillent de l’agriculture urbaine et des ateliers pédagogiques. Cette pluralité d’espaces et de fonctions fait de ce pôle logistique un bâtiment plus ouvert qui permet à un public de venir s’approvisionner en matériaux, par exemple avec un menuisier au R+1 ; mais aussi en comestible au rez-de-chaussée, où la marchandise issue de l’agriculture est stockée, transformée et vendue dans les locaux sur la rue et positionnés face aux futurs logements. Cette ouverture au public est l’une des clés d’intégration de ce type de programmes habituellement fermés aux riverains et physiquement clos face à l’espace public. 

Pierre Bell-Lloch : Pour la ville de Vitry-sur-Seine, le lever de rideau sur l’Hôtel logistique des Ardoines marque la fin d’une aventure et le début d’une autre. Il s’agit du premier édifice commençant l’opération d’intérêt national (OIN) des Ardoines, qui s’est fixé pour objectif la création de 8 000 logements ainsi que l’implantation de 20 000 emplois. À terme, ce sont plus de 18 000 habitants qui viendront loger dans ce site, articulé autour d’une future gare du Grand Paris Express. L’enjeu est donc pour nous de construire la ville d’aujourd’hui : celle qui prend en compte les enjeux environnementaux comme les besoins humains, notamment en matière d’habitation et d’activité économique. Cette opération d’intérêt national (OIN), l’une des plus importantes du pays, est le symbole d’une renaissance pour tout un pan de notre ville, qui a été victime de la désindustrialisation pendant des décennies. 

Ville exemplaire

PBL : Nous espérons que ce premier bâtiment porte l’impulsion claire et forte d’une nouvelle étape dans la transition écologique. Cette aventure est d’autant plus intéressante pour notre ville que c’est le monde de demain qui se construit aujourd’hui au travers de cette logistique répondant aux impératifs d’une zone à faibles émissions. Et si on ne le voit pas encore aujourd’hui, parce que le béton pousse plus vite que la nature, ce site sera demain dans un écrin de verdure grâce à des plantations qui feront que le bâtiment sera vert, de couleur comme de pratique, un effort auquel participera également l’implantation d’agriculture urbaine en toiture. Cela permettra de démontrer que la ville peut aujourd’hui intégrer toutes les contraintes d’un bâtiment productif et contribue à cette transition qui fait en sorte d’absorber l’activité humaine de façon à mieux respecter la nature. 

JS : En ce sens, il n’est pas pour nous un démonstrateur, mais l’expression d’un nouveau paradigme, un exemple ayant valeur de modèle. Il est important pour nous de tirer les enseignements du monde d’aujourd’hui, celui du dérèglement climatique et de la transition nécessaire sur le plan de l’énergie et de l’écologie, notamment en visant à adopter les meilleurs modes de construction en ville possibles. Il représente à ce titre une solution aux défis climatiques, notamment celui de la décarbonation. La conviction essentielle que porte Sogaris est que l’immobilier productif est un vrai levier pour permettre la décarbonation des flux et que nous devons pouvoir réintroduire la logistique en ville pour que les utilisateurs puissent adopter des pratiques plus vertueuses, notamment l’utilisation de modes de transports électriques. Sogaris porte avant tout une vision pour la décarbonation des flux, à laquelle nous pouvons contribuer par une réintroduction des bâtiments logistiques au plus proche des consommateurs finaux, qu’ils soient professionnels ou particuliers. Ce bâtiment en fait la démonstration par sa localisation, mais aussi par sa forme permettant de densifier encore la parcelle. 

PD : Le pôle logistique a remplacé l’antique halle aux grains traditionnellement positionnée au centre des villes. Aujourd’hui, ces entrepôts se sont multipliés en périphérie des métropoles dans les zones d’activités et d’infrastructures, subissant souvent une architecture dégradée. Ici, le pôle logistique se positionne au sud d’un nouveau quartier d’habitation de Vitry-sur-Seine en cours de réalisation. L’idée était donc d’inscrire le bâtiment dans l’espace public afin de lui donner une véritable place dans l’échiquier urbain. Ouvrir les façades lorsque cela est possible, offrir des transparences, des balcons et loggias, et surtout introduire un jardin de plain-pied depuis la rue. Ainsi, presque la totalité de la périphérie de la parcelle, soit 800 m linéaires, accueille un espace planté en pleine terre dont la composition varie selon l’orientation de chaque façade. Une maille inox tendue sur toute la hauteur offre un support pour la végétation grimpante. Derrière ce premier plan végétal, une épaisse forêt remplit l’espace jusqu’à la façade. Celle-ci, constituée de polycarbonate au teint laiteux, réfléchit le végétal qui épouse l’onde du matériau.

Ville acceptée

PD : Notre première volonté pour ce projet était de trouver le moyen de faire entrer les nuisances acoustiques et olfactives à l’intérieur du bâtiment pour sa bonne insertion dans le quartier. Les voitures et camions arrivent directement dans le socle logistique par la porte sud, seule façade donnant sur le secteur de Vitry-sur-Seine qui conserve ses fonctions industrielles. Ensuite nous avons organisé les flux à l’étage afin que les différentes activités puissent fonctionner en même temps, notamment les coques accueillant l’artisanat et les 10 000 m2 d’agriculture urbaine sur les toits. Les connexions avec la rue facilitent les échanges de marchandises et maximisent le potentiel d’accueil du public. Tous ces espaces de travail sont pensés avec une attention particulière sur la qualité de la lumière naturelle qui entre généreusement dans le socle comme dans l’étage, créant des espaces de qualité pour les travailleurs.

Pour répondre aux performances environnementales de l’opération, nous avons cherché à rationaliser le projet avec notamment une structure réduite à son minimum, lui donnant cet aspect élancé. Ainsi, la structure est limpide, ce qui rend la fonctionnalité évidente ; pas de capotage ou de décoration, le bâtiment est sobre, au service de son activité. Un parti qui sert également l’économie des ressources.

JS : Ce bâtiment inscrit à la fois l’économie productive et la nature dans un même écrin pour démontrer que ces deux vertus essentielles de la ville durable ne s’opposent pas, bien au contraire. La phase de développement a été longue, mais elle a aussi constitué un moment d’appropriation au cours duquel nous avons notamment pu travailler avec les élus de la ville de Vitry-sur-Seine et du territoire de Grand-Orly Seine Bièvre afin de faire en sorte que ce bâtiment n’arrive pas par hasard, mais soit bien le fruit d’une cohérence, d’une forme de logique dans la manière dont il a finalement émergé. Aux côtés de nos nombreux partenaires, nous avons tâché de démontrer qu’il est possible de répondre concrètement aux attentes d’une nouvelle
fabrique de la ville.

PBL : Vitry-sur-Seine a toujours accueilli une mixité de fonctions, mais nous remarquons aussi que cette mixité peut occasionner des nuisances. Le projet prend en compte les habitations environnantes, par exemple grâce à une cour intérieure qui coffrera le bruit des camions. Par ailleurs, l’acceptabilité de cette opération est grandement facilitée de par la création de 400 à 500 emplois pour la population vitriote, demandeuse de davantage d’opportunités économiques et en capacité de participer à l’activité de cet édifice. Sogaris et ChartierDalix font la démonstration qu’il est possible de réaliser un bâtiment prenant en compte l’aspect écologique comme l’aspect productif. Nous ne sommes pas obligés d’avoir des entrepôts « boîtes à chaussures », nous pouvons aussi concevoir des bâtiments productifs participant d’une logique plus vertueuse tout en prenant en compte les contraintes d’une ville dense. Nous voulons demeurer une ville productive, mais aussi répondre aux besoins de nos habitants, notamment en matière de logement. Nous devons donc trouver l’équilibre de cette ville mixte, et ce bâtiment y participe.  


Leurs bios

Pierre Bell-Lloch : après avoir siégé sous la bannière du Parti communiste français au conseil départemental du Val-de-Marne entre 2008 et 2020, notamment comme vice-président, Pierre Bell-Lloch est devenu maire de Vitry-sur-Seine lors des dernières élections, suite à sa nomination par le conseil municipal au détriment du maire sortant et tête de liste, Jean-Claude Kennedy. À ce titre, il est directement chargé de l’aménagement ainsi que du renouvellement urbain et foncier de la ville. - © Shooting Ducks
Pascale Dalix : architecte DPLG diplômée de l’École d’architecture de Paris-Villemin, Pascale Dalix a fondé aux côtés de Frédéric Chartier l’agence ChartierDalix Architectes en 2008. Nommés chevaliers des Arts et des Lettres par le ministère de la Culture en 2019, les partenaires ont remporté trois ans plus tard l’Équerre d’argent dans la catégorie « Lieux d’activité », pour le nouveau siège de l’AP-HP. Pascale Dalix est par ailleurs membre de l’Académie d’architecture depuis septembre 2020. - © Shooting Ducks
Jonathan Sebbane : diplômé en 2002 de l’École polytechnique, corps des ponts et chaussées, Jonathan Sebbane a amorcé sa carrière au ministère de l’Écologie sur les grandes opérations d’urbanisme, avant de rejoindre en 2010 le cabinet du président de la Région Île-de-France Jean-Paul Huchon, au service Transports et Mobilités. Il est devenu en 2015 directeur général de Sogaris, dont le patrimoine logistique de 667 000 m2 se distille sur 13 sites, dont 11 situés dans le Grand Paris. - © Shooting Ducks

Leur projet commun

Inscrit au sein d’une opération d’intérêt national (OIN) et de la ZAC Gare Ardoines, un nouveau quartier en cours de régénération à Vitry-sur-Seine, où sont notamment attendus 3 700 nouveaux logements, 17 000 m2 de commerces ainsi que 9 ha d’espaces verts,
l’Hôtel logistique des Ardoines incarne l’ambition stratégique portée par le groupe Sogaris : «          faire la démonstration d’une logistique
urbaine vertueuse         ».
En lieu et place d’une friche industrielle et ferroviaire, le bâtiment mixte dessiné par le cabinet ChartierDalix Architectes et construit par GA Smart Building proposera à proximité d’une future gare du Grand Paris Express 14 500 m2 de surfaces logistiques ainsi que 21 000 m2 de commerces, bureaux et locaux d’activités, mais aussi 8 000 m2 dédiés à l’agriculture urbaine. 

Au rez-de-chaussée, la cour poids lourd et ses 15 quais de déchargement seront partagés entre l’entreprise de livraison UPS ainsi que l’enseigne commerciale Point P., le premier profitant d’une halle de messagerie de 10 m de hauteur et le second de surfaces de vente. À l’étage, accessible par une rampe en mesure de supporter des véhicules jusqu’à 18 t, des cellules dédiées à l’artisanat ainsi qu’à des activités tertiaires ont été construites. Ceinturées par un parc linéaire long de 800 m, l’opération a par ailleurs été conçue de manière à contenir les nuisances au cœur de l’équipement et à s’intégrer dans une zone à faibles émissions.

© ChartierDalix
© DR
© Business Immo Global
© DR

Article issu du Business Immo Global 203.

Pour consulter le numéro dans son intégralité, cliquez ici