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Carte blanche à… Patrick Rubin, Canal architecture

© Valérie de Calignon

Transformer l’existant dans un cercle vertueux, construire réversible… Des sujets qui font l’objet, pour l’agence Canal architecture, de recherches, de projets… et de débats depuis de nombreuses années. Des sujets qui, aujourd’hui, résonnent particulièrement en ces temps où l’habitat manque et où des millions de mètres carrés de bureaux restent vides pour cause d’obsolescence. Éclairage de Patrick Rubin, cofondateur de l’agence d’architecture.

« Je me souviens d’un architecte japonais qui m’avait dit que s’il devait transformer un lieu originellement rond, il n’en ferait pas une figure carrée. Le plus sensible de la transformation est d’essayer de trouver l’esprit du lieu, qu’il existe ou peu d’ailleurs. De l’accompagner. » Patrick Rubin, fondateur de l’agence Canal architecture en 1982 avec son frère Daniel, inaugure d’emblée l’entretien par un sujet qui lui tient particulière à cœur : la transformation des bâtiments. Un sujet qu’il investit depuis de nombreuses années à travers ses projets, ses recherches et ses publications ; un sujet qui s’entremêle avec celui de la réversibilité des bâtiments neufs.

Transformation

L’agence s’est fait connaître depuis les années 1980 par son travail singulier en matière de réhabilitation : la transformation d’un garage parisien en siège du journal Libération, la Maison du livre et de l’affiche dans des silos à Chaumont, l’École du paysage de Blois dans les anciennes chocolateries Poulain. Plus récemment, la transformation d’un immeuble de bureaux de Claude Parent en logements, rue de Mouzaïa, à Paris, et la création d’une médiathèque dans les anciens arsenaux de Brest. Autant de projets qui font écho aux préoccupations écologiques de notre temps : « Réparer plutôt que casser. Transformer la ville dans un cycle vertueux », revendique Patrick Rubin. 

Pour transformer une construction existante, l’architecte donne une clé : « Il faut être à l’écoute du bâtiment, découvrir ses ressources, échapper aux fausses idées. Exceptionnelle ou ordinaire, la situation à transformer existe déjà dans sa structure et sa matérialité ; le récit est écrit. » Comme le sculpteur entrevoit la forme que contient le bloc de marbre… Pour lui, l’architecte doit ensuite accompagner la transformation dans un geste « bienveillant » à l’instar de Tadaō Ando avec la Bourse de commerce. Il cite aussi Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal qui, pour le Frac Nord-Pas-de-Calais, ont laissé « tranquille » une halle à fort potentiel symbolique en lui accolant une jumelle. « La réhabilitation d’un existant suppose d’en saisir toute sa vitalité et ensuite de la retraduire », explique Patrick Rubin. 

Dans cette veine, l’agence livre en 2020 l’immeuble du 58 rue de Mouzaïa, cosigné Claude Parent et André Remondet en 1974. Rare témoignage de l’architecture brutaliste, le bâtiment de bureaux est transformé en un ensemble à vocation résidentielle dans un souci de préservation patrimoniale. D’après l’architecte, cette transformation est facilitée par la structure poteaux/poutres qui offre des plans libres sur huit niveaux. Côté façade, l’aspect brut du béton est conservé, mais de nouvelles menuiseries en chêne lui confèrent une échelle domestique. La rénovation du bâtiment s’élève à 1 700 €HT/m2, rappelle Patrick Rubin. Et de s’interroger : « Un projet de réhabilitation à ce coût équivaut quasiment à construire un immeuble neuf. Il me semble anormal que l’on n’ait pas une autre agilité, d’accepter une équivalence des coûts entre une construction neuve et un bâtiment transformé. Des procédés agiles sont à venir en distinguant les travaux clos/couvert/aéraulique des composants intérieurs, en acceptant de faire cohabiter sols bruts, réseaux visibles, services frugaux avec des “pods” qualitatifs préfabriqués hors site. » Des sortes de cellules individuelles sur lesquelles planchent des start-up françaises, italiennes ou japonaises en revisitant les pionniers de l’industrialisation des années 1960. 

Réversibilité

L’agilité, pourtant, Canal architecture n’en manque pas. Depuis de nombreuses années, chaque projet fait l’objet d’une recherche qui interroge les usages d’un bâtiment au moment de son affectation et dans le temps. Le fruit de cette réflexion a conduit à la notion de réversibilité du bâtiment pour qu’il puisse avoir plusieurs vies. Un système poteaux/dalles comme la maison Dom-Ino de Le Corbusier, une façade non porteuse, une épaisseur de 13 m, des hauteurs d’étage de 2,70 m, etc. Autant de principes qui rendraient possible la variation des géométries. Cette « action-recherche » a conduit l’agence à élaborer avec Vinci le procédé « Conjugo », un principe constructif qui autorise toute flexibilité des fonctions. Mais si en termes architecturaux celle-ci est possible et même souhaitable afin de recycler les bâtiments et d’anticiper leur destin, côté permis de construire, il en est tout autre, puisque la case « réversible » n’existe pas.

En 2018, Canal architecture est lauréat de l’appel à manifestation d’intérêts (AMI) lancé par le ministère de la Cohésion des territoires. Baptisé TEBiO, le projet est porté par Bordeaux Euratlantique, Egidia/Elithis et Catella, et verra le jour à Bordeaux en 2023. L’immeuble abritera indifféremment des bureaux ou des logements. Il se compose de deux bâtiments reliés par des decks qui intègrent des lieux tiers, des petites bulles multi-usages de 50 m2 qui pourront accueillir des réunions, des ateliers éphémères, etc. Le plan est libre, les façades non porteuses, les escaliers indépendants. « Ce bâtiment, autonome en énergie, est un démonstrateur du procédé réversible. Ce schéma permet de construire plus durable, d’assurer une économie de 50 à 70 % par rapport au coût d’une réhabilitation lourde, d’accompagner les mutations d’un bâtiment tout au long de sa vie », souligne Patrick Rubin. Menée dans le cadre d’un permis d’innover (loi Élan), cette opération n’affecte pas le bâtiment à sa construction, ouvrant la perspective d’un permis de construire évolutif sans décider, par exemple, de la destination première du bâtiment. À suivre…  

TEBiO, projet de Canal architecture à Bordeaux porté par Bordeaux-Euratlantique, Egidia/Elithis et Catella, est un démonstrateur du procédé réversible - © Canal architecture

Article issu du numéro 177 de Business Immo Global.

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