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Construire une ville mixte sur la ville

Photo à la une : Au sein du Jardin des mécanos (Paris 18e), l’ancienne halle industrielle, autrefois lieu de vie communautaire de cheminots, sera transformée en halle marchande et espace culturel pour ancrer le projet dans son contexte urbain en créant du lien. © Luxigon

 

Raréfaction du foncier, crise écologique, climatique, sociale… Mais aussi objectif de la loi Climat et résilience de la zéro artificialisation nette des sols en 2050 qui vise à lutter contre la bétonisation des terres et la renaturation des espaces… Pour y faire face, les acteurs immobiliers et urbains affirment aujourd’hui qu’il faut reconstruire la ville sur la ville, puisque la ville de demain existe déjà à 80 %. Construire la ville sur la ville, oui, mais une ville mixte, comme le revendiquent certains urbanistes, maîtres d’ouvrage et maîtres d’œuvres. Pourquoi ? Comment ?

 

Une ville mixte

« La question de la mixité d’usage à l’échelle de la ville s’inscrit d’abord dans une histoire, celle de la ville occidentale », explique Stéphan de Faÿ, directeur général de Grand Paris Aménagement, lors de la conférence « Construire une ville mixte sur la ville » qui s’est tenue au Salon du Simi, à Paris, en décembre 2023. Selon lui, dans n’importe quelle ville et même village, cette mixité est intrinsèque à l’espace qui s’est fabriqué. Contrairement à l’architecte Le Corbusier qui, en 1933, dans la Charte d’Athènes, considérait la ville en zones distinguant les usages et reliées par la fonction transport, l’urbaniste Carlos Moreno, depuis 2015, met en avant la « ville du quart d’heure », c’est-à-dire une ville de microquartiers destinée à assurer l’accès aux principales fonctions à moins d’un quart d’heure à pieds ou à vélo….

Reconstruire la ville sur la ville en intégrant la mixité d’usage est une évidence pour Fadia Karam, directrice générale de la Société nationale d’espaces ferroviaires (filiale d’aménagement urbain et de promotion immobilière de la SNCF). Les projets qu’elle porte s’inscrivent dans la reconversion de friches ferroviaires en zone urbaine : « Nous sommes dans une mission de réparation de la ville. Nous faisons la ville sur le rail. On le réintègre pour lui donner un sens urbain. » Or faire la ville sur la ville c’est créer de l’habitat, des espaces de travail, des espaces partagés. La mixité devient alors un levier de qualité de vie. « Nous veillons à ce que chaque projet soit un incubateur sur le territoire, c’est-à-dire qu’il arrive à apporter un bénéfice de qualité de vie sur ce qui l’entoure, mais aussi à tisser les liens avec le déjà-là. » Faire « couture » avec l’existant, que ce soit avec un quartier ou un immeuble.

Pour l’architecte Orash Montazami, fondateur de Studio Montazami, dès lors que l’on conçoit un bâtiment mutable et réversible, « on peut qualifier la construction de mixed-use ». Il est important, selon lui, que les architectes considèrent effectivement l’évolution du projet dans le temps.

 

Faire avec l’existant

Toujours pour Orash Montazami « construire la ville sur la ville c’est d’abord faire avec l’existant ». Dans le cadre du projet de réhabilitation d’un immeuble, il faut mener une réflexion sur les usages, in situ, en analysant les besoins sur un périmètre élargi et le rapport du bâtiment à son histoire. « Nous menons une vraie réflexion avec les donneurs d’ordre d’ajustement des usages en fonction d’un bâtiment qui peut accepter une typologie plutôt que d’autres », explique-t-il. « Quand on fabrique la ville sur la ville, il faut que celle-ci soit durablement attractive », continue Fadia Karam. « Si on n’arrive pas à créer une valeur de lien, on n’aurait pas réussi notre objectif de créer cette mixité. » Pour elle, le lien est surtout généré par les communs et les espaces publics qui jouent un rôle majeur pour véhiculer les usages dans lesquels accueillir toutes les générations et les catégories de population. Ainsi une conciergerie, un centre social, un centre culturel, une école… tous ces services de quartier sont fondamentaux pour créer du lien et veiller à ce qu’il y ait de la place pour tout le monde.

« Dans le recyclage urbain, il y a des enjeux de greffe », souligne Stéphan de Faÿ. De greffe à la fois spatiale, de couture urbaine, d’inscription du neuf dans l’ancien… La ville se fabrique par un long processus de sédimentation, de stratification. « Tout ce que l’on va amener pour recréer une “épaisseur” va se traduire par une appropriation humaine des lieux infiniment plus simple. »

 

De la réversibilité

Par exemple, le Jardin des Mécanos (Paris 18e), un projet de quartier porté par la Société nationale d’espaces ferroviaires. La halle industrielle, principal site autrefois de traitement de locomotives de Paris, qui véhicule une vie communautaire de cheminot, sera transformée en espace commun : halle marchande et espace culturel. « Un lieu qui fait le lien avec l’histoire et a permis d’ancrer le projet », détaille Fadia Karam. Le projet se veut créateur de valeur pour ses futurs habitants, mais aussi les riverains. Les investisseurs pourront jouer sur la réversibilité, notamment des immeubles de bureaux en d’autres fonctions.

Autre exemple, celui de la Cité universelle, porte de Pantin (Paris 19e), un bâtiment porté par GA Smart Building et coconçu par les agences d’architecture Baumschlager Eberle Architekten et Studio Montazami. Ce projet qui a pour ambition l’inclusion du handicap s’inscrit à la place d’une préfourrière, qui sera intégrée au sous-sol du bâtiment avec 6 m de hauteur et pourra être transformée en espace sportif. Tout le bâtiment d’ailleurs est entièrement réversible. « Ce doux rêve de réversibilité auquel l’architecte aspire commence à être possible. La technicité dans le bâtiment permet de l’adapter pour demain », poursuit Orash Montazami. Car rendre le bâtiment adaptable c’est le rendre durable.

 

Conçue par Baumschlager Eberle Architekten et Studio Montazami, la Cité universelle (Paris 19e,) est un bâtiment 100 % accessible aux handicaps qui s’inscrit dans la ville existante en intégrant de nombreux usages : salle omnisport, hôtel, bureaux, centre de santé, jardin partagé… © Baumschlager Eberle Architekten et INEDIT Architecture

 

Un bâtiment qui traverse le temps

« L’immeuble doit traverser le temps intelligemment en servant à la communauté », le dit autrement Fadia Karam. « La durabilité c’est ce qui traverse les siècles », continue Stephan de Faÿ. Et pour traverser le temps, il faut systématiser des modes constructifs réversibles et se poser la question de l’évolution des usages du bâtiment dès le permis de construire. « Ça ne veut pas dire que tout va se transformer en tout, même l’haussmannien ne le peut pas, mais au moins que l’on se pose cette question et que l’on donne le maximum de chances pour faire en sorte que cette mutation soit facile. » Car la zéro artificialisation nette et le zéro carbone net à horizon 2050, cela veut dire qu’en 2050 on ne construira plus rien, et que l’on ne fera que faire évoluer les bâtiments existants ou en cours de construction.