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Carte blanche à… Déchelette Architecture

Photo à la Une : reposant sur un soubassement en pierre, cet immeuble passif en structure bois et isolation paille, à Paris 14e, abritera deux logements et un commerce. – © Bureau 504

Faire les choses bien. Tel est le leitmotiv de la jeune agence Déchelette Architecture qui aborde la discipline avec l’utilisation de matériaux biosourcés. Sa conviction : faire évoluer le monde de la construction. Décryptage. 

Pour Emmanuelle et Philibert Déchelette, sœur et frère, un constat s’est imposé au début de leur exercice d’architectes en 2017 : difficile de commencer un métier qui pollue énormément. Une question à laquelle ils n’ont pas été préparés au cours de leurs études. La transformation des bâtiments, leur réversibilité et leur adaptation à de nouveaux usages occupaient alors de devant de la scène. « Mais la génération d’aujourd’hui est beaucoup plus sensibilisée sur le sujet », reconnaît Emmanuelle Déchelette. « Nous sommes dans un secteur qui produit en tout béton. Or, quand on commence une activité, on a envie de faire les choses bien. »

Pisé

Et les choses, ils les font bien – même très bien – dès leur première commande, une maison dans le 18e arrondissement, la Casa Franca, un projet commandité par l’artiste plasticienne franco-italienne Sarah Valente qui puise son inspiration dans l’environnement naturel de son enfance et ses nombreux voyages. Le frère et la sœur, en choisissant une structure en bois et une façade en pisé, s’inscrivent d’emblée dans cette nouvelle génération qui aborde l’architecture par la matière. Ils la placent au centre d’un dispositif constructif et créatif en réinterrogeant les savoir-faire face à la préciosité des ressources. Pour Emmanuelle Déchelette, la terre correspondait à l’univers de forêt de l’artiste. « Au départ, on nous avait demandé d’étudier une façade en bois, mais nous trouvions que ça ne correspondait pas vraiment à une maison de ville. »
La terre, selon les architectes, a un côté massif qui se rapproche davantage de la pierre. 

Blocs de terre crue

Cette première commande leur a permis d’accéder au marché public. Ils gagnent ensuite un concours pour un immeuble de huit logements sociaux et un commerce à Boulogne-Billancourt qui sera livré en janvier 2024. Contrairement à la façade de la Casa Franca qui est en pisé construit sur place (une première à Paris), la façade autoporteuse de cet immeuble à ossature bois se compose de blocs de terre crue préfabriqués. « La terre est une marque de renouveau. Les promoteurs sont assez fiers de porter ce type de projet », continuent les architectes. « Mais la réglementation autour de la terre est un peu floue. Nous sommes obligés d’isoler la terre comme nous le ferions avec du béton, ce qui empêche d’utiliser les qualités de ce matériau, notamment hygrothermiques. » La terre crue leur offre de la visibilité. Architectes, maîtres d’ouvrage publics, mais aussi privés viennent visiter leur chantier. Ils gagnent d’autres concours. 

Paille

Autre projet, autre matériau : rue des Suisses, dans le 14e arrondissement de Paris. Très modeste, l’immeuble compte un commerce et deux logements. Ambitieux, il propose une structure en bois et un remplissage en paille qui se veut remarquable tant dans le bilan carbone de l’opération que dans l’élaboration d’un bâtiment à énergie passive. « Le promoteur nous a contactés en nous demandant de faire un projet exemplaire, se souvient Philibert Déchelette. Nous visons une certification Passivhaus, la note A pour le DPE. » L’isolation de paille a la vertu de protéger du froid comme du chaud. 

Pisé porteur

Autre projet dans le carnet de commandes de la jeune agence créée en 2019 : trois logements dans l’écoquartier des Roseaux, à Montévrain (77). « Le projet est en pisé porteur, le puriste, le pisé des ancêtres historiquement utilisé pour des constructions rurales ! », militent les concepteurs. « Nos connaissances et compétences actuelles nous donnent les moyens de travailler ce matériau sur plusieurs niveaux et dans des milieux plus urbains. » Pour eux, la terre crue offre les qualités appropriées pour répondre aux enjeux écologiques. La combinaison de la technique ancestrale du pisé avec des mises en œuvre contemporaines permet d’adapter les propriétés de ce matériau à des besoins actuels, tels que le dimensionnement généreux des ouvertures et la finesse des éléments structurels.

Hauteur

« Les matériaux biosourcés ont toujours été utilisés. Aujourd’hui, nous nous en servons dans des projets de plus grande échelle et plus techniques aussi. Les contraintes se posent en termes de hauteur. Mais des solutions existent toujours s’il y a par exemple un retrait, des planchers en béton ou en bois », analysent les architectes. « Mais nous essayons de ne pas stabiliser la terre en la mélangeant avec du ciment, car ce serait plus polluant que du béton. » Selon eux, des solutions vont probablement apparaître pour la grande hauteur à l’avenir, avec des matériaux biosourcés davantage transformés. Mais l’idée reste de ne pas faire des bâtiments hors d’échelle.

Valeur ajoutée

Leur ambition est celle d’une architecture économe, généreuse et inventive. Qui ne passe pas que par la matière. Cette architecture est aussi une façon de penser, de faire le mieux avec le moins, utiliser le déjà-là. Pour eux, cette architecture porte une responsabilité politique, économique et sociale qui incarne une perspective de transition. Leur conviction : le monde doit évoluer grâce à l’utilisation de matériaux bas carbone et à l’intelligence de la frugalité. « Mais si l’on parle d’une architecture via les matériaux, il ne faut pas pour autant entrer dans une logique d’ingénieur, concluent Emmanuelle et Philibert Déchelette. C’est important de prouver que l’on peut faire du biosourcé et aussi travailler la poésie architecturale, les détails, l’esthétique. Sortir également de l’autoconstruction. Ne pas oublier ça. En tant qu’architecture, nous devons apporter cette valeur ajoutée. Il faut garder en tête l’apport de l’architecte dans la construction. »  

La façade autoporteuse en pisé de la Casa Franca (Paris 18e) innove par le dimensionnement généreux et contemporain de ses ouvertures. - © Salem Mostefaoui
Afin de pallier la profondeur et l’enclavement de la parcelle de la Casa Franca (Paris 18e), un jeu d’ouvertures zénithales a été créé pour récupérer un maximum de lumière naturelle. - © Salem Mostefaoui
À Boulogne-Billancourt, les architectes ont mis en œuvre une façade en blocs de terre crue préfabriqués, assemblée en quelques jours seulement. - © Salem Mostefaoui

Article issu du Business Immo Global 201.

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