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Au bureau comme à la maison

Le bureau est mort, vive la maison ! Tel pourrait être le cri de guerre de la nouvelle donne de l’espace de travail en France. De moins en moins de bureaux individualisés, de plus en plus de lieux collaboratifs : le bureau s’inspire à l’évidence des codes de la maison pour se réinventer. Visite guidée dans la nouvelle configuration du bureau-maison…

Il va falloir se faire une raison : le bureau n’est plus un territoire individuel. Finie la photo des enfants qui trône sur son desk, terminés les effets personnels qui envahissent la table de travail, symboles d’appropriation de l’espace physique. Poussé dans ses retranchements, intimé par la révolution digitale de se réinventer, le bureau traditionnel vit ses dernières heures. L’explosion des espaces collaboratifs, seule sérieuse alternative au télétravail, lui a déjà donné un sacré coup de vieux. La généralisation du flex office comme nouveau standard du bureau contemporain finit de l’achever. La fin du bureau statutaire et identitaire a bel et bien sonné.
Derrière cette mutation, se joue pourtant autre chose. La fin de l’espace de travail individuel, voire individualisé, annonce une nouvelle ère dans l’immobilier tertiaire. Moins de mètres carrés pour chacun et plus d’espaces pour tout le monde. Le nomadisme érigé en principe de réalité est passé par là. Au-delà de ce nouvel équilibre, ce sont les hiérarchies qui sont challengées. Les organisations en silos ont vécu. Les patrons, qui hier s’arc-boutaient sur leurs travées comme autant de signes du pouvoir, doivent se muer en managers. Et abandonner au passage leurs attributs d’antan. Elle est surtout là, la véritable révolution du travail.

« Aujourd'hui, on travaille plus efficacement et on pense mieux dans un canapé confortable ou sur un pouf coloré et ergonomique »

De l’entrée au salon…

Vous l’avez remarqué : nos bureaux se donnent, de plus en plus, des atmosphères de cocooning. Une chaise Acapulco – d’usage réservé aux extérieurs – par ci, un canapé confortable par là : la maison a clairement débarqué au bureau. Par petites touches d’abord, à grands traits ensuite. L’implémentation des espaces collaboratifs aura permis de tester la formule bureau-maison avant de basculer franchement dans la maison-bureau. Pas à pas, chacun des espaces tertiaires s’est vu peu à peu réinvesti par les codes de l’habitat pour se transformer en autant de pièces de la maison.
À commencer par l’accueil, qui a sans doute été le premier espace des sièges sociaux à avoir muté. Empruntant aux standards de l’entrée dans sa version résidentielle, l’accueil, qui s’est acheté des airs de lounge, joue désormais sur la personnalisation après des décennies de dé-personnification. L’accueil, c’est la première impression d’une entreprise. Alors, autant qu’elle soit bonne. Pris d’assaut par les architectes et les designers qui ont bien compris l’enjeu de cet espace stratégique, l’accueil est désormais le lieu par excellence de rencontres, celui où l’on y boit un café en attendant son rendez-vous, celui où les idées fusent par sérendipité en croisant un collègue un peu par hasard, celui où l’on s’attarde le soir.
Après l’accueil, l’espace de réunion, qui a été expérimenté en France dans toutes ses formules : à deux, à plusieurs, à beaucoup. Finalement, un seul modèle semble réussir : la version salon, donc conviviale, avec ou sans cheminée et bibliothèque. Les tables de réunion ont du souci à se faire. Aujourd’hui, et plus encore demain, on travaille plus efficacement et on pense mieux dans un canapé confortable, sur un pouf coloré et ergonomique autour d’une table basse invitant à la confidence. À une condition non négociable : que les outils numériques compensent la disparition quasi programmée de tous les papiers.

Avec sa cheminée et son écran XXL, le salon est la principale pièce de la maison Workwell. Accessible à tous les collaborateurs de la start-up, il est également le lieu privilégié des réunions internes et externes.
…De la cuisine au garage ?

Dans cette nouvelle dynamique, si un espace semble avoir tiré sa révérence, c’est bien celui de l’espace salle à manger, un autre territoire identitaire où se mesure le pouvoir de certains. Ni le bon vieux RIE – relégué généralement en rez-de-chaussée, voire au sous-sol – ni les restaurants – réservés aux directions générales et aux VIP, plutôt logés dans les derniers étages – ne semblent encore avoir la cote, laissant la place à une imagination plus débordante en matière de restauration collective. Le sujet, comme en cuisine, c’est la variété. Variété des espaces, variété des menus, variétés des expériences.
La cuisine, justement, devient de plus en plus le nerf de la guerre. À l’instar du résidentiel qui, faute d’espace mais aussi de conception de la famille, s’affranchit de la cuisine fermée, hier repaire de la mère au foyer, le bureau se paye des espaces cuisines XXL et sans doute un peu plus. Autour d’îlots centraux imposants, on partage beaucoup, et pas seulement un bon repas. On y partage des idées, on prend le temps de les savourer et de les goûter. La cuisine sera demain le principal espace de réunion de l’entreprise, concurrencé par les extérieurs, jardin et rooftops potagers en tête. Question d’inspiration sans doute…
Car le bureau n’a pas achevé sa mutation. Il reste encore beaucoup de pièces de la maison à investir. Les espaces de nuit, tout d’abord, qui sont abordés au travers de timides salles de repos et de siestes où les outils connectés sont prohibés. Les espaces d’eau, ensuite, qui vont gagner du terrain au fur et à mesure que le sport, dans sa version au minima bien-être, s’ancrera dans l’entreprise. Et, demain, pourquoi pas le garage – point de départ de nombreuses start-up devenues des licornes – qui serait le lieu idéal pour produire, créer, l’équivalent du fab lab. Car les entreprises de demain, pour faire la différence, vont devoir démontrer leur capacité créative.
De l’entrée à la cuisine en passant par le salon, le bureau d’aujourd’hui dont s’achève ici la visite guidée, n’a jamais autant emprunté à la maison pour se repenser. Et si maintenant, dans les marchés tendus, face à la cherté des mètres carrés, à la rareté de l’offre et aux nouveaux modes de vie, la maison s’inspirait elle aussi de l’esprit du bureau pour se régénérer et trouver une nouvelle équation ? Dans l’offre de services à ses occupants, la gestion des espaces communs, le rapport des pièces à la lumière, l’intensification d’utilisation des mètres carrés, l’intégration de nouveaux usages… La maison pourrait bien reprendre quelques codes du bureau pour se réinventer.

Dans les tout nouveaux bureaux du groupe immobilier Frey, le premier centre de gravité se trouve... dans la cuisine. Généreuse et ouverte sur les autres espaces, elle joue le rôle de catalyseur et de démonstrateur de l'entreprise.