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Vers la flexibilité des consommations énergétiques

Image d’illustration : © Sergey Nivens / Adobe Stock

Après le « consommer moins », s’ajoute pour le tertiaire la nécessite de « consommer mieux ». Pour cela, les bâtiments doivent se connecter aux infrastructures productrices d’électricité et être capables de répondre à leurs signaux en temps réel grâce aux technologies de l’information et de la communication. L’objectif : flexibiliser les consommations en fonction des pics et chutes de production du réseau, et ainsi favoriser le recours aux énergies renouvelables, dont la production est par nature intermittente. Explications.

La transition énergétique est en marche : d’ici 2030, entre 12 à 24 GW de photovoltaïque et 22 à 37 GW d’éolien seront raccordés au réseau national. Le facteur empêchant d’aller au-delà ? La capacité du réseau électrique à absorber les pics et les creux de cette production renouvelable. Pour faciliter la transition énergétique, le parc tertiaire devra donc relever le défi de la flexibilité énergétique, et apprendre à réduire momentanément sa puissance électrique lorsque la production sera inférieure aux besoins, plutôt que d’utiliser en appoint des centrales thermiques à flamme (gaz, fioul, charbon). Et, à l’inverse, à recharger ses infrastructures au moment des pics de production.

« Les différentes études prospectives de RTE sur le système électrique font apparaître que le développement des énergies renouvelables telles que l’éolien ou le photovoltaïque, mais également les nouveaux modes de consommation et les nouveaux usages, par exemple les véhicules électriques, amènent à des évolutions profondes du système électrique et à des besoins croissants de flexibilité », a expliqué Hélène Robert, responsable effacements et mécanismes de marché pour RTE, durant une conférence organisée le 3 juillet par l’Association des directeurs immobiliers (ADI). « Selon les scénarios, la situation est plus ou moins favorable à terme en matière de sécurité d’approvisionnement. C’est pourquoi, RTE s’intéresse à l’ensemble des leviers qui pourront répondre à ces besoins. Et au sein de ces leviers, les effacements de consommation constituent une solution intéressante. Certains sites sont capables de s’effacer sur des durées longues ; d’autres moins longtemps mais avec des préavis très courts ; certains clients acceptent de s’effacer très régulièrement ; pour d’autres, c’est la disponibilité (caractère volontaire pour s’effacer en cas de besoin) qui prime… Chacune de ces flexibilités peut avoir une valeur pour le système électrique ». À ce jour, environ 3 GW d’effacements sont actuellement exploités par RTE. En 2028, les pouvoirs publics, cadre politique et réglementaire volontariste à l’appui, visent un objectif de plus de 6 GW d’effacements.

Pour tenir ces objectifs, le tertiaire devra contribuer à l’effort, aux côtés des acteurs déjà engagés (souvent plutôt des industriels). « Les bâtiments tertiaires sont de gros stocks d’énergie thermique. De plus, ils embarquent de nombreux usages électriques dont l’intermittence peut être gérée de manière intéressante. Ils peuvent piloter intelligemment leur appel de puissance sur le réseau. L’immobilier tertiaire est donc aujourd’hui étudié comme un des gisements de flexibilité à mobiliser en priorité », souligne Cédric Borel, directeur de l’Institut français pour la performance énergétique du bâtiment (Ifpeb). Au côté de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB), d’agrégateurs et de RTE et Enedis, l’Ifpeb lance une expérimentation pour étudier ce gisement et tester la flexibilisation des consommations. Grands utilisateurs, propriétaires, bureaux d’études et exploitants sont invités à rejoindre l’étude jusqu’à mi-septembre.

Magali Saint-Donat, directeur général de Protertia FM et présidente de la commission RSE de l’Association des directeurs immobiliers (ADI), engagée elle aussi dans l’expérimentation, semble convaincue que tous les exploitants de parc tertiaire sont concernés, « mais avec des approches ou des moyens différenciés ».

« En priorité il faut agir sur les grands immeubles qui disposent à la fois de volumes d’énergie déplaçables conséquents mais également de moyens techniques qui permettent le paramétrage de scénarios d’effacement plus ou moins complexes, pour gérer ces déplacements. » Au-delà des installations techniques et technologiques, la directrice immobilier rappelle qu’il faudra « d’abord jouer avec ses caractéristiques intrinsèques. Par exemple, l’inertie thermique qui permet de couper le chauffage ou la climatisation sur des périodes plus ou moins longues sans que cela nuise au confort des occupants. Sur les petits bâtiments, il est possible de jouer aussi avec ces caractéristiques sans outils complexes et sans forcément des moyens numériques sophistiqués. Il ne faut pas effectivement perdre de vue que la multiplication des moyens numériques est aussi génératrice d’augmentation de consommations… non déplaçables. La sobriété numérique est aussi à inscrire dans la feuille de route des exploitants : du numérique oui, quand cela a du sens ! », martèle Magali Saint-Donat.

Autre intervenant de cette conférence de l’ADI, Antony Guilbert-Cholet, responsable Innovation et Énergie pour Poste Immo, la rejoint sur la nécessité d’une approche globale de la question de la flexibilité énergétique d’un immeuble et d’une implication de tous. « Nous sommes réellement à une période charnière, car ce ne sont plus seulement les sites “électro-intensifs” qui vont jouer un rôle dans l’équilibre du réseau électrique français, mais ce sont bien une multitude de sites, plus ou moins consommateurs et flexibles, qui vont permettre de réguler, à la maille locale, régionale ou nationale, l’offre et la demande d’énergie. À l’image du colibri, chacun fera sa part. Mais pour que cela fonctionne, il faudra un pilotage robuste et interopérable des systèmes, une réelle ouverture des produits, et surtout une qualité suffisante ainsi qu’une utilisation optimale des données produites par les immeubles, carburant des futurs “Building Opérating Systems” (BOS) ». Pour un bâtiment connecté au réseau, en temps réel.