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Carte blanche à… Roland Carta

Photo à la Une : Autour de Bernard Reichen, Roland Carta, Stéphan Bernard et Marc Warnery. Une nouvelle page se tourne pour les agences Carta Associés et Reichen et Robert qui ont fusionné en 2021. – © Alessandro Silvestri 

L’architecte Roland Carta est un Méditerranéen. Il le revendique dans son rapport à la ville du sud, dans les bâtiments qu’il construit, dans la manière dont il conduit son agence jusque dans sa transmission avec sensibilité, caractère et une certaine… légèreté empreinte de gravité. Rencontre.

Cest très jeune que Roland Carta, alors Aixois, comprend que l’architecture n’est pas un métier de soliste, mais de chef d’orchestre. Il en fait l’expérience alors qu’il n’a même pas son diplôme et qu’il doit reprendre l’agence de son père décédé prématurément. Il rejoint une équipe, passe dans la foulée son diplôme sur le sujet du grand âge. On est en 1975. À 29 ans à peine, il gagne un concours national lancé par le ministère de la Santé sur le sujet, « un concours de conception-construction lancé par un ministère trusté par les grandes agences parisiennes », se souvient l’architecte. « J’ai pris conscience à ce moment-là de la nécessité de rajeunir et de décentraliser la profession d’architecte. »

Contexte

En 2000, il installe son agence à Marseille au moment où Euroméditerranée commence à prendre forme. Robert Vigouroux, « un grand transformateur », a laissé place à Jean-Claude Gaudin à la tête de cette ville « en perpétuel foisonnement vers le futur ». L’architecte – pour qui l’architecture est un métier et un service et non pas un spectacle – y construit en faisant sien ce qu’Auguste Perret a appelé « le tissu banal de la ville ». Il faut entendre par là non pas la banalité de la ville, mais plutôt ce qui la constitue au quotidien : la mobilité, le logement, les bureaux, la santé, l’espace public, les loisirs… 

Roland Carta s’interdit d’avoir une écriture trop située, mais essaye en revanche d’inscrire ses bâtiments dans leur contexte : « C’est aujourd’hui une banalité de le dire, mais ça n’a pas toujours été le cas. Le contexte. Autrement dit la forme, l’histoire, la géographie, la géographie humaine… Autant de facteurs qui doivent alimenter le projet. » Priorité au contexte donc, contrairement à Rem Koolhaas et aux architectes hollandais. Roland Carta se revendique de l’école latine : Rafael Moneo, Aldo Rossi, Vittorio Gregotti… « Je suis un architecte de la Méditerranée, en Méditerranée », affirme-t-il. Son architecture prend en compte les caractéristiques des rivages méditerranéens. Elle s’inscrit dans l’épaisseur, les ombres portées, les espace extérieurs protégés… C’est-à-dire des dispositifs qui permettent d’atténuer le soleil et le vent violents. Elle a pour matérialité la pierre, « qui, comme à Jérusalem, contient la spiritualité du monde », rappelle Roland Carta. « Ça ne peut pas ne pas nous inspirer. »

Méditerranée

Marseille s’est réapproprié le rapport à l’eau, à la mer, à son horizon. L’agence Carta Associés le démontre elle aussi avec Smartsea, un immeuble de bureaux construit de concert avec EGR Architectes, qui vient clore en proue l’écoquartier Smartseille « dans une séquence de Pritzker Prizes : la tour CMA CGM de Zaha Hadid, la tour La Marseillaise de Jean Nouvel, et l’immeuble de bureaux accolé à Smartsea d’Eduardo Souto de Moura », sourit Roland Carta. Composé de trois volumes reposant sur un soubassement, le bâtiment se tourne vers « un paysage d’une grande puissance avec des infrastructures portuaires très fortes et, au-delà, la mer Méditerranée ». Il apprivoise le climat grâce à l’ossature structurelle qui fait office de brise-soleil. Celle-ci s’épaissit selon l’orientation des façades. L’expression du bâtiment qui, avec son béton blanc et sa géométrie régulière, fait écho à celui de Souto de Moura, s’affirme avec sa masse minérale. Des retraits en attique sont coiffés de deux grandes terrasses s’ouvrant sur le vaste territoire. « La couronne, à l’angle, avec l’ossature qui se prolonge pour abriter l’une des deux terrasses, ne répond pas à la logique économique, mais fait signal », complète Hervé Gatineau, directeur immobilier grands projets chez Eiffage Immobilier Sud Est, le maître d’ouvrage. L’architecture, là aussi, se définit par les ombres et la blancheur qui reflète le soleil. Elle fait écho à l’art de construire en Méditerranée.

Transmission

Roland Carta, depuis ses débuts, accompagne la transformation de Marseille et son développement, mais construit aussi dans la France entière, en Italie, au Maroc, en Afrique subsaharienne. En 2002, il s’associe avec l’agence Reichen et Robert pour répondre à l’appel d’offre du CHU Pasteur de Nice. Un concours qu’ensemble ils gagnent. Bernard Reichen et lui-même s’engagent alors respectivement dans un travail de transmission auprès de Marc Warnery et Stephan Bernard qui prendront la tête de leurs agences quelques années plus tard. En 2018-2019, un rapprochement s’opère avec Reichen et Robert, « compte tenu de l’évolution des marchés, de la profession, des transformations auxquelles il faut faire face, des nécessités de développer la recherche et le développement rendus indispensables à l’architecte par l’obligation d’assurer les transitions environnementales et digitales », précise Roland Carta. « Chacune de nos agences était à la fois trop grande et trop petite, mais la fusion pouvait représenter une réponse. » En 2021, naît Carta-Reichen et Robert Associés architectes urbanistes, une agence d’environ 110 personnes à l’activité extrêmement dense. « Bernard et moi avons réussi notre transmission, précise Roland Carta. Nous ne transmettons pas uniquement des parts dans une société, mais une réflexion, une expérience, un parcours, un regard sur le monde. » Et de conclure : « Nous sommes très heureux de cette fusion. C’est un bon point de départ de mettre le bonheur au cœur de l’action, car le bonheur est une chose sérieuse… » 

Le projet Smartsea, à Marseille, bénéficie de dispositifs passifs pour s’adapter au climat méditerranéen. Ainsi, la structure s’épaissit selon les orientations des façades de manière à créer une ombre salutaire en été. - © Pierre Quintrand
© Pierre Quintrand

Interview issue du Business Immo Global 196.

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