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La Grande Arche / Benjamin Teboul, Jean-Philippe Olgiati & Franklin Azzi

Photos : © Margaux Demaria pour Business Immo Global

« Rendez-vous compte : avoir un bureau ici, dans un monument, c’est comme avoir un bureau dans la tour Eiffel ! » Franklin Azzi fait ici allusion à la paroi nord de la Grande Arche, propriété d’une joint-venture formée par Henderson Park et Weinberg Capital Partners (WCP). Une paroi nord dépoussiérée et modernisée qui se distingue désormais par ses nombreux services au terme d’une aventure folle au cours de laquelle Jean-Philippe Olgiati, associé de WCP, Franklin Azzi, architecte, et Benjamin Teboul, fondateur de Deskeo, ont pu tisser des liens forts. Entretien.

UNE VISION

Jean-Philippe Olgiati : L’Arche de La Défense est iconique à l’échelle française, voire mondiale. Notre objectif chez Weinberg Capital Partners (WCP) en tant qu’investisseur était d’acquérir l’ensemble des lots de la paroi nord, au nombre de quatre, afin de mettre en place notre vision de repositionnement. Les défauts de l’actif ? Rares étaient ceux qui le voyaient comme un immeuble de bureaux. Aux yeux de tous ou presque, il s’agissait principalement d’un monument – un projet phare de l’ère François Mitterrand –, un ensemble devenu obsolète avec le temps, du fait de la copropriété. Lui redonner la notoriété de sa naissance était donc notre priorité. 

Cette vision nous a permis de fédérer une communauté autour de nous, d’amener dans notre sillage Franklin Azzi, qui a cette capacité de s’adapter au contexte. J’ai encore le souvenir de notre première visite ensemble. Il était passionné par le produit architectural. Les carrés, dans les carrés, dans les carrés, l’ont fasciné. C’était une très bonne base de départ… Combien de fois dans une vie a-t-on la possibilité de travailler sur un actif se trouvant sur un immeuble comme l’Arche de La Défense ? J’en ai fait plein des immeubles depuis 15 ans, mais là… La passion partagée pour sa transformation a fait le reste.

Franklin Azzi : La Grande Arche vient de fêter ses 34 ans. Conçu par Johan Otto von Spreckelsen comme un monument retraçant l’axe historique de Paris, le bâtiment était gestuel avant de se soucier de ses habitants. Il était adressé pour l’horizon lointain, et non pour l’utilisateur. Nous voulions donc insuffler de la vie en son sein, tout en conservant l’écriture architecturale initiale. Et pour cause : aujourd’hui, nous ne saurions plus construire un immeuble d’une aussi grande qualité. 

Respecter l’héritage d’une œuvre qui a marqué son époque, extrêmement symbolique pour le quartier d’affaires de La Défense, c’est une réelle responsabilité. Notre fil directeur ? Être juste et ne pas toucher au concept fondateur pour s’éviter un contresens historique, ce qui requiert une certaine forme d’humilité. Nous n’avions pas envie d’imposer une nouvelle signature à ce versant nord, mais seulement d’accompagner sa transformation de manière chirurgicale, même si les travaux ont été conséquents. Quand on fait une réhabilitation, c’est presque un acte médical. On doit d’abord diagnostiquer les problèmes, les dysfonctionnements qui empêchaient le bâtiment d’avoir sa vie idéale, jusqu’à apposer une stratégie, qui a été amenée à évoluer.

Benjamin Teboul : Quand nous avons parlé à notre actionnaire américain (Newmark Group, ndlr) et lui avons dit : « c’est l’Arc de triomphe de La Défense », cela dit beaucoup de choses de cet actif. Combien d’immeubles sont connus dans le monde entier ? Combien d’immeubles ont une station à leur nom ? Faire partie de cette aventure est pour nous une immense fierté. Aujourd’hui, notre responsabilité collective est de faire évoluer des immeubles obsolètes pour de multiples raisons, qu’elles soient environnementales ou sociétales. Et je crois que nous partageons cette vision avec Weinberg Capital Partners, ce qui a facilité nos échanges. Certains propriétaires sont moins dans le côté « vivant » de l’actif.

 

UNE TRANSFORMATION

JPO : Avant, la Grande Arche symbolisait la fin de La Défense. C’est aujourd’hui devenu l’épicentre, par sa proximité avec l’Arena, avec les résidences étudiantes avoisinantes, avec le prolongement de Nanterre, etc. Cela a guidé nos actes. Notre objectif ? Offrir plus de services au sein de notre immeuble qu’il y en a tout autour. Avant, il n’y en avait aucun. Pire, les charges étaient très élevées, faute d’asset. Bref, il était boudé, loué seulement à 60 %. Qu’on se le dise : le vide locatif n’est jamais très bon pour un immeuble… 

Ma conviction ultime ? Un immeuble au bon endroit, avec une bonne stratégie et de bons services, ça se remplit. Surtout à La Défense, idéalement desservie par les transports en commun. Nous avons donc transformé l’Arche en ce sens : les parties communes ont ainsi été repensées, de même qu’un certain nombre de plateaux ; un centre d’affaires a été créé, un café design, une conciergerie, une salle de sports, un espace wellness, une aire dédiée aux vélos et un service click and collect également. J’ai été très agréablement surpris par la façon de Franklin Azzi de diriger artistiquement la transformation de cet ensemble. Il a su s’entourer des bons acteurs, notamment le signaléticien Yorgo Tloupas (Yorgo&Co). La qualité des finitions est tout simplement extraordinaire.

FA : Le projet était très technique, car il y avait des contraintes inhérentes à l’acte de réhabiliter un IGH. Il fallait donc avoir les connaissances pour permettre la flexibilité que nous réussissons à offrir dans le socle, qui a désormais une vraie fluidité, une vraie transparence nord-sud, tout en n’effectuant aucune modification sur la façade.

Se repérer dans une tour, c’est extrêmement compliqué. Avec Yorgo Tloupas, nous avons voulu retrouver une échelle humaine de la signalétique pour que l’utilisateur se positionne dans l’espace. Il lui faut des repères de vision, de vues extérieures. Voilà pourquoi nous voulions retrouver cette transparence afin de limiter l’effet cul-de-sac, dans le noyau de circulation notamment. 

Idem côté dalle : c’est assez subtil, mais cela fonctionne pour redynamiser des lieux qui n’avaient pas ou plus de programmes, des archives notamment. Nous avons révélé des mètres carrés inutiles pour avoir de nouveaux services et de nouveaux adressages.

Attardons-nous un peu sur le hall : en 30 ans d’histoire, on a accumulé des couches, des signalétiques pirates. Finalement, cet espace, au fil du temps, avait été rempli. Le premier travail a été de retirer ces différentes couches. Il n’est pas aisé de dire à un client qu’il faudrait assumer le vide. Nous l’avons fait… Nous avons refabriqué un plafond magistral, remis des matériaux plus chaleureux et domestiques, tout en respectant les normes en place, notamment la sécurité incendie. Nous sommes allés au bout des choses. Aujourd’hui, c’est lisible. Notre autre grand défi a porté sur la sécurité incendie, afin que le socle puisse accueillir des activités.

Désormais, cet immeuble est flexible, c’est un lieu de vie. 

BT : Il suffit de déambuler dans cet actif pour affirmer que la transformation est juste. La Grande Arche, qui n’est pas au centre de l’attention, car éloignée du QCA, est… actuelle, en phase avec son temps. Nous y retrouvons un côté urbain dans un environnement qui ne l’est pas forcément, avec des usages et des services qui redynamisent l’ensemble. Ce que je trouve fascinant dans la réhabilitation imaginée par Franklin Azzi, c’est la luminosité de l’ensemble, à tous les niveaux. Cela contribue à la singularité du bâtiment. Les espaces sont neutres, purs, justes, accessibles, urbains et qualitatifs : c’est une recette qui marche. Dans cet actif, nous sommes clairement dans une révolution d’usages. Prenez l’exemple des archives, évoquées précédemment par Franklin : elles étaient inutiles. Restructurées, elles nous ont permis de privilégier les mobilités douces. Croyez-moi, notre offre dédiée aux vélos est loin d’être superflue.

UN POSITIONNEMENT

JPO : Je crois beaucoup au marché de La Défense – le spread entre les loyers du quartier et Paris est séduisant pour les utilisateurs. En revanche, il y a des cycles… 

Sur les 45 000 m2 de bureaux de la paroi nord, nous avons trois plateaux dédiés à des petites surfaces. Nous voulions attirer dans notre tour une autre typologie de locataires : une stratégie en adéquation avec les recherches du moment ; une stratégie qui participe à la création d’une communauté. À l’heure où nous parlons beaucoup d’inclusion, d’éclectisme, c’est important. Cela allait dans le sens de notre vision. Quitte à me répéter : nous ne cherchions pas un mono-preneur, mais de la diversité. Si bien qu’aujourd’hui, il n’y a pas un autre immeuble qui peut mieux représenter l’éclectisme à La Défense. 

Les services proposés vont faire revenir les gens au travail, j’en suis persuadé. Comme l’amélioration de la qualité de vie au sein du quartier d’affaires… En ce sens, nous comptons beaucoup sur Deskeo. 

FA : C’est toujours compliqué de trouver une identité dans un immeuble multi-locataires. Quand une tour est occupée par un preneur unique, ici Total, là Areva, l’identité est poussée par la marque, l’ADN est précurseur dans la définition même des décors. Dans le cadre d’un multi-locataires, il faut construire cette identité. Notre collaboration avec Yorgo Tloupas va bien au-delà de la pose d’un pictogramme. Cela vient fédérer une communauté. 

La vraie mutation de l’identité des immeubles de bureaux est rendue possible, car nous rapprochons davantage des codes de l’hôtellerie que du bureau traditionnel, dans la manière d’accueillir les gens, de leur proposer des services, de la nourriture, etc. 

Et puis, rendez-vous compte : avoir un bureau ici, dans un monument, c’est comme avoir un bureau dans la tour Eiffel.

BT : Si le taux d’occupation est aussi élevé – il est quasiment de 100 % –, ce n’est pas un hasard. Chez Deskeo, nous avons grandi à travers une offre adressée aux utilisateurs qui n’avaient pas forcément accès à des biens semblables. Quand on dit « petits » utilisateurs d’une trentaine de collaborateurs, ce n’est pas un gros mot ! Le plus important, c’est que l’immeuble soit dynamique, qu’il vive. Avoir une pluralité d’utilisateurs, avec des populations, des sensibilités et des cultures différentes, cela contribue à la richesse d’un ensemble. Aujourd’hui, la Grande Arche est aussi riche par la différence de ses utilisateurs. Son côté expérientiel correspond aux besoins des acteurs et drive notre croissance. Avec nos services, nous allons pouvoir accueillir des gens de l’extérieur. Pour une entreprise, pouvoir s’offrir une expérience au sein d’un immeuble iconique, c’est extraordinaire.  

LEURS BIOS

Jean-Philippe Olgiati, au centre, entouré de Benjamin Teboul et Franklin Azzi

JEAN-PHILIPPE OLGIATI 

Diplômé de l’École nationale supérieure d’arts et métiers, Jean-Philippe Olgiati a débuté sa carrière chez Bouygues Construction. Avant de rejoindre Weinberg Capital Partners (WCP) en 2018 en tant qu’associé et directeur général des activités immobilières, il a été responsable des investissements Europe de BlackRock Real Estate (de 2013 à 2018). Chez WCP, il est, entre autres, chargé du fonds discrétionnaire WREP#3. Il anime une équipe de sept personnes.

FRANKLIN AZZI

Franklin Azzi développe, au sein de son agence parisienne créée en 2006, une approche transversale nourrie de l’entrecroisement des regards et des disciplines. De la micro-architecture urbaine incarnée par le Kiosque Eiffel aux tours à Dubaï et Paris en passant par les réhabilitations de structures existantes, comme les halles Alstom à Nantes, il positionne ses interventions dans une recherche de durabilité en réponse aux besoins de tous les usagers.

BENJAMIN TEBOUL

Benjamin Teboul a suivi une formation en commerce et débuté une carrière en tant que marchand de biens avant de prendre la gérance d’une foncière immobilière. Avec Franck Zorn, il a cofondé la start-up Deskeo en 2016. D’abord adossée à Knotel, son entreprise, qui se présente comme un opérateur de bureaux flexibles avec services, s’appuie désormais sur Newmark Group comme actionnaire majoritaire depuis l’automne 2021.

LEUR PROJET COMMUN

Ils aiment à la comparer à Burj Khalifa (à Dubaï), Swiss RE (à Londres) ou encore Petronas (à Kuala Lumpur). Que des symboles de leur époque… Oui, la Grande Arche est emblématique, symbolique, monumentale, dessinée par le Danois Johan Otto von Spreckelsen et inaugurée en 1989. « C’est le fruit d’un concours d’architecture internationale lancé par François Mitterrand », résume Jean-Philippe Olgiati, associé de Weinberg Capital Partners (WCP) qui, dans le cadre d’une joint-venture avec Henderson Park, a acquis les quatre lots de la paroi nord appartenant à deux investisseurs privés et deux institutionnels (BlackRock, CDC), entre novembre 2019 et novembre 2022, soit 45 000 m2 au total ; la paroi sud et le toit appartiennent à l’État. 

Objectif du duo, alors ? Redorer l’image de ce « lieu intemporel », le faire apparaître comme un immeuble de bureaux — « beaucoup l’ignoraient », note le dirigeant de WCP. Cela passe par une modernisation des espaces communs imaginée entre autres par Franklin Azzi, avec l’agence de graphisme Yorgo&Co, mais également par la création d’une offre de services digne de ce nom, opérée par Deskeo, sans oublier une stratégie locative « adaptée à la demande ». Pari gagnant : la paroi nord est aujourd’hui occupée à 95      %. Parmi les locataires présents : Orsys (12 500 m²), Paris&Co (5 500 m²), Petites Affiches (4  000 m²), Freelance.com (3  000 m²), la Banque publique d’investissement (BPI), l’Iéseg School of Management, ou encore le Collège de Paris.


Entretien issu du Business Immo Global 192.

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