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Franklin Azzi & Laurent Dumas

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Avec Beaupassage, ils viennent de fêter leur première livraison commune. Pourtant, Laurent Dumas, promoteur avant-gardiste, et Franklin Azzi, symbole de la nouvelle vague architecturale, s’observent, étudient et s’enrichissent de leurs ouvrages respectifs depuis un paquet d’années. Interview… habitée.

Photos : Xavier Lahache pour in interiors

La rencontre

Laurent Dumas : depuis notre collaboration dans le cadre d’un projet d’extension du musée Maillol en 2015, je n’ai cessé de porter un œil attentif au parcours et aux réalisations de Franklin Azzi, notamment le siège de La Française boulevard Raspail (livraison 2015), et plus encore, la rénovation des berges de Seine. Il a réussi le pari fou de transformer cette autoroute urbaine, classée au patrimoine mondial de l’Unesco et où toute installation devait être temporaire, en un ouvrage hyper audacieux, en réinventant le mobilier urbain et en façonnant le paysage avec une simplicité qui est l’apanage des grands. Franklin Azzi fait partie de cette jeune génération montante d’architectes très impliqués tout au long de leurs projets. Il se distingue par un geste architectural très fin, un sens de la générosité et du partage qui font son originalité et sa force. Il est un précurseur.

Franklin Azzi : Jeune architecte, j’ai suivi la trajectoire et le parcours de Laurent Dumas depuis plusieurs années. Très vite, j’ai été convaincu par sa réputation de promoteur qui aime travailler avec les architectes comme avec les artistes. Il a la particularité d’être un grand patron qui s’investit personnellement dans tous ses projets. Dans le même temps, il sait attendre et laisser le temps aux sujets d’éclore au bon moment. C’est une grande qualité.

« Franklin Azzi se distingue par un geste architectural très fin, un sens de la générosité et du partage qui font son originalité et sa force »


— Laurent Dumas

Le projet

LD : Un des facteurs clés de succès d’une réhabilitation comme celle de Beaupassage, c’est appliquer une méthode de l’observation où le temps nécessairement long de l’analyse est crucial. Franklin Azzi est arrivé à un moment charnière dans le projet : le permis de construire qui définissait les volumes capables avait été obtenu, mais j’étais insatisfait sur le geste qui allait donner de la personnalité à l’ensemble. L’enjeu était délicat : réunifier trois siècles et demi d’histoire architecturale en conservant au maximum les bâtiments existants et les matériaux qui les composent. Comment trouver une unité à un lieu qui n’en a pas : c’était la commande.

FA : Quatre architectures pour quatre époques et quatre fonctions différentes, trois accès, un espace fermé au public : on ne pouvait pas faire plus hétérogène. À travers la mission d’unifier, j’ai tiré un fil d’Ariane : chaque bâtiment devait avoir sa propre personnalité. Respecter le passé tout en célébrant l’avenir, garder l’âme historique tout en se tournant vers demain : c’est aujourd’hui l’enjeu de toutes les villes européennes qui se reconstruisent sur elles-mêmes. À ce travail, s’est juxtaposée une autre mission tout aussi délicate : le traitement des passages que nous avons souhaité ouvrir au public. En urbanisme, on appelle cela une ligne du désir. Un raccourci pour les habitants, un lieu de flânerie à l’abri des voitures (un pied de nez sur le lieu d’un ancien garage), une promenade artistique : cela risque d’avoir lieu à Beaupassage.

« Laurent Dumas a la particularité d’être un grand patron qui s’investit personnellement dans tous ses projets »


— Franklin Azzi

Les sources d’inspiration

LD : Avec Beaupassage, nous avons voulu créer une rue piétonne ouverte au public dans une partie du 7e arrondissement qui tient lieu de village, une parenthèse urbaine au cœur de la ville, mais à l’abri de son tumulte, où se conjuguent l’art du beau, du bon et du bien-être avec un sous-bois composé de plus de 60 essences différentes et conçu par le paysagiste Michel Desvigne. Un contexte historique riche, un îlot complexe, un chantier sophistiqué réalisé en site occupé : Beaupassage est aussi une promesse du point de vue architectural, celle de faire de la haute couture à tous les niveaux : dessin, design, travaux. Le geste de Franklin Azzi est un travail au scalpel où chaque élément est un détail et où rien n’est répétitif pour créer un objet non reproductible, 100 % original. Beaupassage restera unique en son genre, sans équivalent.

FA : Un architecte, c’est d’abord une appréhension des contextes. Beaupassage, c’est le contraire de la standardisation. Chaque mètre carré y est inédit et constitue une pièce unique envisagée avec l’état d’âme du collectionneur, de l’artiste, de l’« art-chitecte ». Notre prochain ouvrage commun sera un bâtiment de logements à Saint-Denis, un exercice complètement différent mais exigeant, car tout l’enjeu consiste à développer des objets de qualité avec une contrainte de prix maîtrisés. C’est pour moi un acte politique fort. Il est fondamental de répondre à toutes les commandes, de travailler toutes les échelles.