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Les Nouvelles Galeries d’Annecy / Manuelle Gautrand & Éric Costa

Photo à la Une : © Jad Sylla pour Business Immo Global

Les Nouvelle Galeries d’Annecy ont terminé cette année leur mutation. Datant du début des années 1970, ce centre commercial propriété du groupe Galeries Lafayette a bénéficié d’une restructuration et extension réalisées par Manuelle Gautrand Architecture : la « soucoupe volante », autrefois posée sans contexte dans le centre-est d’Annecy, se dote de plusieurs « satellites » et s’ouvre ainsi à la ville, faisant ainsi bénéficier aux Annéciens de nouveaux commerces locaux et premium. Retour sur cet ambitieux projet avec l’architecte Manuelle Gautrand et Éric Costa, président de Citynove.

Historique

Éric Costa  : Ce projet de réhabilitation a été initié il y a une dizaine d’années avec l’ambition de sortir cet ensemble des années 1970, en évitant les classiques schémas de centres commerciaux, les « boîtes commerciales ». Citynove est un opérateur immobilier dans un groupe commerçant. Cette dimension commerciale, enracinée dans l’ADN du groupe depuis plus d’un siècle, implique une culture du client final à tous les stades de conception. Nous concevons ainsi l’outil immobilier dans cette logique. Notre travail ne se résume pas à construire des infrastructures pour les louer à des enseignes, il consiste à générer des flux de clients, qualifiés par rapport à un positionnement, et de les fidéliser.

C’est dans ce souci d’originalité et de valeur ajoutée apportée aux Annéciens que nous avons imaginé un écosystème de commerçants qui n’était pas déjà présent à Annecy, un laboratoire de marques émergentes. Notre but était de faire comprendre à toutes les parties prenantes que nous allions concevoir un projet pour les habitants, en travaillant la communication, la coconstruction, les ateliers participatifs. Un aspect qui a également séduit la municipalité. Nous n’avons souffert d’aucun recours ou d’oppositions de riverains, et nous avons pu obtenir assez rapidement les autorisations de construire, d’exploitation ou encore les modifications des règles d’urbanisme.

Le choix de l’architecte, Manuelle Gautrand, a également été motivé par notre envie de sortir des carcans habituels : nous souhaitions travailler avec un architecte qui n’avait jamais fait de centre commercial et qui s’était plutôt illustré sur des projets culturels et de loisirs. Une philosophie que nous portons pour tous nos projets de centres commerciaux : nous considérons aujourd’hui que le shopping en magasin est une activité de loisirs. Ce qui implique de prendre les codes architecturaux des actifs de loisirs.

Manuelle Gautrand  : C’est dans ce cadre que Citynove m’a contactée, entre 2010 et 2012, pour réaliser ce projet de restructuration et extension afin que j’apporte un œil nouveau sur l’édifice. J’ai apprécié le courage de ce maître d’ouvrage qui vient vous confier cette réalisation en assumant que vous n’avez pas d’expérience dans ce type de programme et en acceptant, finalement, que vous allez apprendre au gré du projet. Cela montre également une marque de confiance exceptionnelle qui rend la tâche à la fois très motivante et en même temps un peu intimidante. À la différence d’un concours – où la légitimité provient justement du fait de l’avoir remporté –, dans ce cas présent, il faut se rendre légitime.
Et je reconnais avoir beaucoup travaillé pour essayer de réaliser un projet qui soit à la hauteur de leurs attentes.

Éric Costa porte une vision innovante, inattendue et pointue par rapport à d’autres promoteurs commerciaux. 

Faire avec le « déjà là »

MG : Ce projet s’est révélé une fabuleuse expérience ; j’ai eu la chance de travailler sur un bâtiment existant remarquable à restructurer, en même temps qu’il fallait lui imaginer des extensions. Nous disposons d’une bonne expérience de ce type de projets au sein de l’agence, nous aimons faire avec le « déjà là » : la restructuration de la Gaîté Lyrique en salle de spectacles, le Musée d’art moderne de Lille – un bâtiment construit par Rolland Simounet et inscrit à l’inventaire des monuments historiques… Ce qui m’a plu dans la demande de Citynove, c’est la recherche de valeurs immatérielles, de générosité des volumes, et cette adhésion au fait de s’ancrer sur un patrimoine existant que l’on doit d’abord comprendre, apprivoiser, puis restructurer et développer. 

Ce projet contient de nombreux marqueurs symboliques, tout en chiffres : 52 colonnades formant l’anneau circulaire, comme autant de semaines dans l’année, 365 fuseaux de parking… Tout est tramé de manière absolument parfaite. J’ai donc d’abord appris à aimer ce bâtiment – malgré ses défauts urbains – avant de m’en émanciper. On a un peu l’impression de faire deux projets en un, parce que nous devons œuvrer à régénérer ce bâtiment qui existe en même temps que travailler à créer une extension qui doit posséder sa propre écriture, plus personnelle ; et le tout doit finalement rentrer en osmose.

L’architecture d’Antoine Dory se révèle un parfait témoignage de cette époque, basée sur la société de consommation et la voiture. Et durant tout le processus du projet, j’ai cherché à rendre cette architecture plus contextuelle, humaine et sensible, plus en phase avec nos valeurs d’aujourd’hui en formant ce dialogue entre l’ancien et le nouveau, entre l’architecture originale et la mienne. 

EC : Tous nos magasins ont cette caractéristique d’être une carte postale des villes dans lesquelles ils sont – ce n’est peut-être pas forcément évidents pur certains ! –, ou à tout le moins une architecture marquante de ces villes. Il faut arriver à préserver ce patrimoine et le combiner avec de l’architecture contemporaine, innovante et audacieuse. Trouver cet équilibre.

Depuis longtemps, nous sommes convaincus chez Citynove de l’importance de l’architecture sur notre quotidien, sur nos espaces collectifs. Les confinements forcés ont consolidé cette idée qu’il faut penser les lieux d’abord pour la façon dont on les vit au quotidien. Quand vous regardez le schéma classique de conception d’un espace commercial – une place centrale entourée d’un mail bordé d’une juxtaposition de boutiques (que l’on appelle des cellules commerciales) –, vous pouvez facilement faire le parallèle avec une prison ou un couvent, répondant à une logique d’enfermement. À l’inverse, nous voulons des lieux totalement ouverts, ancrés dans leur écosystème, perméables ; privilégier un espace où l’on n’est pas surstimulé. Moins de lumières, moins de sons, moins d’écrans, moins d’affichages, moins de produits aussi, moins de densité. Nous avons voulu créer un lieu qui donne envie de venir et d’y revenir, indépendamment de la qualité des enseignes. Une ligne de conduite appliquée sur tous nos projets, réhabilitations comme neufs, qui nous a souvent amenés à travailler avec des femmes architectes. Nous souhaitions retrouver un certain nombre de caractéristiques dans les choix d’architecture, de design, de matériaux, qui soient peut-être plus féminins – d’une certaine manière – que ce que l’on a l’habitude de voir.

L’espace et le temps long

MG : Le choix d’une extension prenant la forme de cinq satellites vient rendre hommage à l’architecture arrondie de l’anneau de parking originel. L’idée de conserver ces formes circulaires permet de s’ancrer dans la mémoire des Annéciens, l’anneau de parking restant emblématique du bâtiment. Je viens démultiplier la forme de cet anneau originel. Chacun des satellites vient s’y glisser : en dessous du 1er niveau de parking pour les satellites posés au sol, entre le 1er et le 2e niveau de parking pour les satellites du haut. Cette forme circulaire porte de nombreuses valeurs : engageantes, elles adoucissent. La promenade, que nous avons décidé de glisser astucieusement sous le premier niveau de parking, se laisse découvrir au fur et à mesure de votre déambulation. Son arrondi chaleureux casse les effets de perspective désastreux que vous pouvez avoir dans les grands centres commerciaux, avec une forme de monumentalité qui vous écrase. Ici, on est à chaque fois attiré vers la perspective.
À l’extérieur, ces formes arrondies viennent chercher les limites, elles viennent créer des alignements sur des rues, des vis-à-vis avec les bâtiments en face.

Les façades vitrées, disposées de manière à donner un effet plissé, rappellent les ventelles en béton préfabriqué cintré qui bordent l’étage de parking et donnent un effet cinétique : au cours de la promenade, dans un sens ou dans l’autre, chaque pan de verre vous renvoie un reflet différent, comme une nouvelle vitrine sur la ville. Le revers de cet aménagement vient impacter les commerçants, qui doivent ainsi s’adapter à un agencement à la fois ouvert sur le mail intérieur, mais aussi sur les façades extérieures. Cela les incite à trouver de nouvelles formes de scénographies, qui s’avèrent aujourd’hui toutes aussi réussies les unes que les autres.

EC : Les partis-pris architecturaux qui privilégient l’espace, la surface vitrée, les matériaux nobles engendrent forcément des surcoûts. Le choix d’une commercialisation locale démontre que nous ne sommes pas dans de la maximisation des loyers à court terme. À partir du moment où l’on n’optimise pas tous les paramètres, on prend un risque supplémentaire. Mais notre conviction, c’est que l’ancien modèle n’existe plus, définitivement. Les modes de consommation ont évolué, les mentalités aussi. Le modèle que nous développons ici dispose de toutes les qualités pour s’ancrer dans le temps long et peut-être avoir une rentabilité finalement supérieure à ceux qui ont fait le choix de maximiser à court terme. La relation client se fait dans la durée et nous ne cherchons pas à faire de la spéculation immobilière. Comme dit précédemment, nous sommes exploitants avant tout et faisons ainsi le choix du long terme. Nous appartenons à un groupe familial, avec des actionnaires qui sont de la même famille que les fondateurs du groupe. Ils comprennent très bien que c’est dans le temps que l’on bâtit cette relation client et acceptent, plus facilement que d’autres sans doute, ces « sacrifices » à court terme en pariant sur le fait que c’est ça la clé pour le succès à moyen ou à long terme. Cette culture commerçante sans équivalent, le fait de travailler avec toutes ces enseignes, de s’imprégner de leurs problématiques et de cette culture du client, forcément, cela a transformé notre façon de travailler l’immobilier.  

© Jad Sylla pour Business Immo Global
© Jad Sylla pour Business Immo Global
© Jad Sylla pour Business Immo Global
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Leurs bios

© Jad Sylla pour Business Immo Global

Éric Costa

Diplômé de l’ISG International Business School, Éric Costa a démarré sa carrière chez Sari Conseil avant de rejoindre, en 1995, IED en qualité de directeur du développement d’investissement et de diversification. Il prend ensuite la direction de la société de gestion Auxiliaire de finances avant de rejoindre, en 2006, le groupe Galeries Lafayette pour prendre en charge l’immobilier de la société. Il participera activement à la création de la foncière de détention patrimoniale nommée Citynove, dont il prend la direction avant d’assumer les fonctions de directeur immobilier du groupe Galeries Lafayette en 2020. Il est également vice-président relations investisseurs et foncières au sein du Comité des Champs-Élysées.

© Jad Sylla pour Business Immo Global

Manuelle Gautrand

Manuelle Gautrand est architecte DPLG depuis 1985 (Ensam Montpellier). En 1991, elle crée sa propre agence d’architecture, Manuelle Gautrand Architecture, à Lyon, puis à Paris en 1994. Parmi ses réalisations marquantes, en France, citons le showroom Citroën C42, au 42 avenue des Champs-Élysées (2007) ; le Lille Métropole Musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut (LaM) (2009) ; la reconversion de la Gaîté Lyrique en centre de musiques actuelles, à Paris (2010) ; l’immeuble Origami, avenue de Friedland, à Paris (2011) et, dernièrement, les Nouvelles Galeries d’Annecy. Elle est faite chevalier de la Légion d’honneur en 2010, officier de l’ordre des Arts et des Lettres en 2017 et, cette même année, reçoit le Prix européen
pour l’architecture.

Leur projet commun

Dans le paysage urbain d’Annecy, la silhouette emblématique du magasin Galeries Lafayette, marqueur d’une architecture typique des années 1970 avec son anneau de parking posé sur pilotis, se devait de faire peau neuve. Citynove a ainsi confié la réalisation de sa réhabilitation – avec extension – à l’architecte Manuelle Gautrand et au designer danois David Thulstrup. 

Après trois ans de travaux, au cours desquels le magasin des Galeries Lafayette est resté en activité, les Nouvelles Galeries d’Annecy accueillent, outre un magasin central de 15 000 m2 complètement revisité, 9 000 m2 de surfaces additionnelles prenant la forme de six « satellites » qui viennent habiller l’anneau circulaire des parkings existants. L’ensemble propose ainsi une nouvelle scénographie aux riverains, plus accueillante par ses formes arrondies et son tramage de verre, une rue intérieure qui suit les courbes de l’anneau principal et dessert les nouveaux commerces, et 6 000 m2 d’abords paysagers qui irriguent l’ensemble de ce nouveau lieu de vie. 

Les Nouvelles Galeries d’Annecy ont été inaugurées en juin 2022, avec des ouvertures de magasins étalées en plusieurs phases, en juin, septembre 2022 et janvier 2023. Dans sa commercialisation, Citynove a sélectionné des enseignes et artisans locaux en grande majorité, aux côtés d’enseignes nationales. Plus récemment, c’est Uniqlo qui a confirmé sa présence dans les galeries, au sein d’un emplacement de premier choix, sur deux niveaux, totalisant 1 350 m2.

© Nouvelles Galeries Annecy

Interview issue du Business Immo Global 197.

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