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Méka Brunel & Anne Speicher

© Carole Desheulles & Laurent Desmoulins pour in interiors

Deux femmes : l’une ingénieure de formation, l’autre architecte. Un projet : emblématique, unique et iconique. Et une ambition : recréer un immeuble qui fait sens et conscience. Quand la directrice générale de Gecina, Méka Brunel, croise la route, une nouvelle fois, de l’architecte Anne Speicher, du cabinet Baumschlager Eberle Architekten, cela donne l’inspirant l1ve au 75 de l’avenue de la Grande-Armée. Avant-première…

RENCONTRE(S)

Méka Brunel : Ma première rencontre avec Anne Speicher remonte à 2013 autour d’un immeuble phare boulonnais – « Art déco » –, que l’investisseur Ivanhoé Cambridge avait acquis auprès de Hines. Formidable témoin de la riche histoire architecturale de la ville, cet opus est resté longtemps le plus grand chantier de pierre de taille de France. La qualité dans le travail, la rigueur dans l’exigence, la gentillesse et la compréhension des besoins de la maîtrise d’ouvrage sont autant de qualités de cette architecte talentueuse et discrète. Je suis personnellement plus sensible chez les architectes à la cohérence, à la ligne qu’au simple dessin. Anne Speicher cochait toutes ces cases.

Anne Speicher : En 2013, je venais d’implanter le bureau français de l’agence Baumschlager Eberle Architekten à Paris et l’inauguration de l’immeuble Arts déco a véritablement marqué un tournant dans ma carrière. À l’occasion de cette première rencontre avec Méka Brunel, j’ai vu un maître d’ouvrage fier de son projet, ce qui représente le plus beau compliment que l’on puisse faire à un architecte, un maître d’ouvrage qui avait foi en son architecte en dépit de saines confrontations.

ENGAGEMENT(S)

MB : L’ancien siège de Peugeot avenue de la Grande-Armée a été mon tout premier sujet en tant que directrice générale de Gecina. Le lendemain de ma nomination, Jean-Louis Missika me prévient que je ne décrocherais pas mon permis de construire si le futur projet ne s’avérait pas exemplaire en termes d’économie circulaire. Plus que jamais, je suis convaincue que le maître d’ouvrage a une responsabilité dans la fabrique de la ville. Après mûres réflexions, j’ai mis un terme au projet neuf emmené par Dominique Perrault et décidé de repartir sur un projet de restructuration doublement ambitieux et vertueux avec l’agence Baumschlager Eberle Architekten.

AS : Un projet de restructuration n’empêche pas l’architecte de s’exprimer. Mieux. Il permet de magnifier un geste architectural fort, de lui donner une émotion nouvelle. Il faut mûrir pour comprendre que recycler la ville, c’est possible. L’enjeu de l1ve est triple : conserver la façade que la Ville de Paris considère comme un trésor architectural, transformer un immeuble chargé d’histoire en un projet innovant et réussir à créer une nouvelle identité. Notre proposition s’inscrit dans la valorisation du patrimoine existant, son réenchantement et sa vision pour le futur. Le travail de l’architecte s’est donc structuré autour de deux promesses clés : ouvrir la galerie pour en garder la profondeur et créer une place couverte comme une extension de l’espace public. L’architecte, qui doit selon moi faire preuve de beaucoup d’humilité devant cet ouvrage, ne peut que s’incliner devant cette galerie triple hauteur laissée à l’air libre pour être plus flexible.

INSPIRATION(S)

MB : Inévitablement, nous nous sommes inspirés du passé pour bâtir un projet éminemment moderne. Le projet l1ve, c’est d’abord l’histoire d’une résurrection. Construit en 1964, cet édifice porte le témoignage de l’épopée flamboyante de la voiture, symbole de la liberté individuelle et de la puissance économique d’une industrie. Immeuble remarquable, il est aussi le témoin des grandes années de l’ingénierie à la française, avec ses portiques en béton imitation métal qui font de cette nef une véritable cathédrale.

Cette façade en damiers sur l’avenue de la Grande-Armée, que je ne trouvais pas de prime abord très belle, il fallait lui donner une vibration, une variation, une réflexion et la bonne programmation. Avec ses 110 m de linéaire de façade, avec son histoire industrielle et son ingénierie, avec son impact écologique sur l’axe historique, cet immeuble méritait bien une seconde vie, un autre souffle. Le geste de filiation entre le passé et le présent donne la palpitation de l’immeuble. Il se joue ici quelque chose autour de la transmission.

AS : Pour retravailler la façade, nous nous sommes inspirés des robes futuristes de Paco Rabanne des années 1960-1970 qui imaginait des paysages sur le corps des femmes. Pour la faire rayonner, nous avons pris le parti d’extruder un élément sur deux afin de briser une certaine austérité et créer un nouveau relief, un nouveau paysage à la verticale. Et imaginer une certaine vibration, une inspiration « Manifeste ».

AMBITION(S)

AS : Cette sobriété voulue et assumée repose aussi sur l’utilisation de quatre matériaux : le béton existant, le bois, le bronze et le granit recyclé au sol. Avec ces quatre matériaux, nous écrivons la nouvelle histoire de 75 Grande-Armée. Enfin, la place généreuse accordée au végétal – utilisé en rez-de-chaussée mais aussi en toitures-terrasses accessibles – permettra de changer la perspective en hauteur pour les utilisateurs et pour les résidents.

MB : Avec ses 35 000 m² de plancher, l1ve incarnera le prototype de l’immeuble de bureaux de demain : un outil de travail moderne qui met en avant le savoir-faire des métiers de l’immobilier, un concentré de R&D permettant de déployer YouFirst – la marque servicielle de Gecina – à grande échelle, une vitrine pour l’utilisateur final, mais aussi une façon différente de concevoir l’immeuble. Incontestablement, il y aura un avant et un après 75 Grande-Armée, comme l’a déclaré Jean-Louis Missika. 1964-2019 : l1ve fête ses 55 ans et il peut vivre encore longtemps.

"Le projet devait s'avérer exemplaire en termes d'économie circulaire" Méka Brunel - Photographie : © Carole Desheulles
"Un projet de restructuration permet de magnifier un geste architectural fort" Anne Speicher - Photographie : © Carole Desheulles