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Stream Building / Olivier Estève, Philippe Chiambaretta & Xavier Musseau

Photos : © Jad Sylla pour Business Immo Global

Lauréate en 2015 du concours de la première itération de l’appel à projets Réinventer Paris, l’opération mixte Stream Building a été conçue et réalisée comme un laboratoire d’usages permettant de repenser la relation entre le vivant et le bâti. En marge de son inauguration, retour sur une opération aussi ambitieuse que novatrice avec Olivier Estève, directeur général délégué de Covivio, Philippe Chiambaretta, architecte fondateur du cabinet PCA-STREAM, et Xavier Musseau, président de Hines France.

Proposition(s)

Xavier Musseau : En 2016, Réinventer Paris représentait une manière très différente et innovante de mener des appels à projets, puisque dans un même temps, il était demandé à tout un secteur de réfléchir sur des propositions de cessions par la Ville de Paris, avec des tailles de projets très différentes. Cette proposition nous a beaucoup intéressés, mais aussi beaucoup interrogés sur la sélection du projet sur lequel nous pourrions nous exprimer le mieux ainsi que sur le choix des partenaires avec qui nous souhaitions entrer très tôt dans cette aventure. Car l’interrogation derrière Réinventer Paris tient aussi dans la grande concurrence, avec des dizaines d’équipes positionnées sur chacun des projets. Pour être retenu, il fallait être pertinents et innovants. Un noyau dur s’est donc créé autour d’une ambition commune pour que Stream Building ne soit pas un immeuble comme les autres, mais un manifeste d’innovation, le maître mot de Réinventer Paris. Avec des codes d’usages, de modularité, de diversité, intégrés dès la conception et jusqu’au développement puis à l’exploitation de l’immeuble.

Philippe Chiambaretta : Il est en effet important de souligner le caractère innovant du mode de production de Réinventer Paris, qui marque une petite révolution et sans lequel cet immeuble n’existerait pas. Dès l’annonce du concours, nous nous sommes rapprochés de Hines et d’Eurosic pour élaborer une proposition sur ce site de Clichy-Batignolles, l’îlot N2 de la ZAC, qui proposait auparavant 16 000 m2 de bureaux. Celui-ci nous a intéressés parce qu’il était localisé dans un quartier parisien complètement neuf et proposait ainsi un terrain favorable pour penser la ville de demain. Investisseurs et promoteurs ont joué le jeu en nous incitant à être un moteur de la réflexion programmatique qui part de l’idée qu’il faut réinventer l’ensemble des usages, des modes de construction et des rapports avec le vivant. Cette opération marque à ce titre la première fois où nous avons pu être des « maîtres d’usages », par exemple en intégrant dès le début à l’équipe des exploitants, là où ces derniers interviennent en général une fois le projet complété.

Olivier Estève : Le projet était porté au départ par les Assurances du Crédit mutuel qui, pour des raisons de restructuration du capital, se sont retrouvées les seuls investisseurs sur ce dossier et nous ont invités à les accompagner afin de bénéficier des compétences de Covivio dans la réalisation de telles opérations. Alors que nous avions nous-mêmes participé à d’autres appels d’offres de Réinventer Paris, nous trouvions que ce projet correspondait bien à notre façon d’envisager l’immobilier : partir des usages ainsi que de la réflexion sur la façon dont l’immeuble doit être occupé et s’intégrer à la ville pour ensuite proposer une architecture et un design qui servent cette expérience. Cette conviction est très ancrée dans la philosophie de Covivio, notamment avec nos équipes User Experience Design. Aussi, nous avons souhaité être non seulement co-investisseurs, mais aussi acteurs de sa réalisation, d’où l’organisation d’une copromotion aux côtés de Hines France.

Ambition(s)

PC : Cette opération était en quelque sorte un anti-geste architectural parce qu’au moment de sa genèse, nous ne sommes pas partis d’une architecture, mais des besoins qu’exprimait la ville à cet endroit précis. Avant d’être un projet d’architecture, Stream Building a donc été d’abord un groupe de travail constitué d’universitaires, d’intellectuels et d’exploitants appelés à l’élaborer en réaction au tribunal de grande instance, qui allait être construit juste en face et avec lequel nous allions devoir faire place. L’équipe de son architecte Renzo Piano nous ayant signifié que celui-ci n’aurait aucune fonction publique dans l’immeuble pour des raisons de sûreté, nous avons voulu donner à notre programmation un usage d’intérêt public. C’est ainsi que nous avons proposé comme idée structurante un « équipement privé d’intérêt général », qui se traduit par un socle riche de services incluant plusieurs fonctions de restauration (épicerie, boulangerie, café, brasserie…). Nous avons ensuite intégré un élément de travail, avec au départ l’idée d’une offre de coworking qui ne s’est finalement pas concrétisée, ainsi qu’un élément plus nomade, avec une résidence hôtelière innovante, pour que Stream Building soit un immeuble vivant. On y habite, on y travaille, on s’y restaure, on y fait la fête sur le rooftop. Le vivant s’exprime aussi dans l’intégration de la nature, notamment avec une façade plantée de houblon – qui nous permet d’ailleurs de produire au sous-sol la Stream Beer – et un potager sur le toit.

XM : Cet immeuble dispose d’une structure bois majoritairement d’origine France, alors très peu répandue au début 2015 lorsque nous avons amorcé sa conception. Celle-ci est simple d’apparence, mais complexe techniquement, alors que le multi-usage n’en est encore qu’à ses premiers balbutiements. Mais nous savions que l’on ne gagnerait pas sans audace, car le concours invitait à s’ouvrir à une méthodologie différente et à repousser les limites. Très tôt, nous avons aussi eu une intuition forte sur l’importance de penser sa réversibilité. Cet immeuble a ainsi été pensé, architecturalement et techniquement, de sorte que la grille fonctionne pour beaucoup d’usages et que chacun puisse ainsi prendre une part plus ou moins importante de l’immeuble durant son cycle de vie. À ce titre, l’arrivée de Covivio s’est faite très simplement, notamment parce que l’on partage des convictions communes en matière de mixité d’usages.

OE : La mixité d’usage est l’un des enjeux de la ville, d’autant plus à une porte de Paris comme c’est le cas ici, où il est toujours très compliqué de faire vivre des immeubles. Avec cet équipement très structurant, fonctionnant presque en autosuffisance, l’ambition était de créer de la vie et de donner envie aux gens de s’y arrêter. Malgré les difficultés techniques et économiques que constitue une telle mixité, la particularité d’un tel projet est d’être un véritable laboratoire d’usages. Vue de loin, une telle pluralité de fonctions, de l’agriculture urbaine à la brasserie en passant par le café ou l’hôtellerie, peut paraître relever du gadget, mais pas du tout. Cette programmation nous semble au contraire très cohérente avec l’expérience que propose l’immeuble, car ses occupants recherchent avant tout une atmosphère parisienne, ce que l’on pense avoir réussi à recréer ici. Nous avons également été séduits par sa réversibilité et son adaptabilité puisque, par sa conception même, cet immeuble sera particulièrement facile à travailler dans le temps au gré des besoins et des tendances qui évoluent. En outre, l’immeuble bénéficie des certifications BBCA, Effinergie+, HQE Tertiaire Exceptionnel, Breeam Excellent et E+C- ; tous les ingrédients sont donc réunis pour qu’il soit utilisé de façon vertueuse.

Réalisation(s)

PC : Nous étions ensemble, aux côtés de la Ville de Paris, dans un engagement mutuel de confiance pour aller jusqu’au bout. Nous n’avons pas dérogé à nos promesses, au prix de beaucoup d’efforts. Techniques, avec cette structure bois adossée à des noyaux en béton appuyés sur un socle pont et avec une trame permettant de loger aussi bien des espaces tertiaires que des chambres hôtelières. À ce titre, Zoku a d’ailleurs dû un peu adapter ses chambres types pour qu’elles s’y intègrent. Les exigences acoustiques très élevées sur la partie hôtelière nous ont obligés à utiliser deux systèmes de plancher. La liste de défis similaires est longue, mais c’est une persévérance solidaire de toutes les parties prenantes qui a permis de les relever.

OE : Étant donné le temps de gestation d’un tel projet, il est important de pouvoir s’adapter tout au long de sa réalisation. Il se peut que certains partenaires de départ connaissent des difficultés en cours de route. La période Covid, par exemple, a été très éprouvante pour les opérateurs hôteliers, à l’instar de Zoku qui a dû à un certain moment suspendre ses investissements à l’étranger. Nous avons donc transformé le contrat de manière à ce que Covivio et les Assurances du Crédit mutuel portent le fonds de commerce hôtelier. Dans la même veine, nous avons au départ conçu l’immeuble dans l’hypothèse d’y installer notre offre de coworking Wellio, mais la commercialisation auprès d’OVHCloud, qui souhaitait prendre la totalité des surfaces tertiaires, nous a amenés à adapter les espaces. C’est tout l’intérêt de compter sur des investisseurs qui s’inscrivent dans la durée en support de la démarche pour mener à bien ce type d’opération.

XM : Devant un programme d’une telle complexité, nous n’avons évidemment pas manqué de challenges. À commencer par un lancement de chantier en janvier 2020, juste avant l’arrivée de la pandémie de Covid-19, qui nous a beaucoup questionnés sur les usages tertiaires et hôteliers, mais aussi sur le caractère serviciel de cet immeuble. Nous n’avons par ailleurs pas manqué d’obstacles techniques, notamment au niveau de ses infrastructures. Stream Building est un immeuble-pont qui enjambe la ligne 14 du métro, donc il se devait de reposer de part et d’autre. Nous avons même subi, avant même le début de la construction, un affaissement de terrain lié aux travaux de la nouvelle station qui a engendré un surcoût important afin de résoudre ce problème géotechnique. Les remises en question ont été nombreuses, et, sans la présence d’investisseurs forts et convaincus, capables de prendre de grandes décisions, cette opération n’aurait pu être livrée sous sa forme actuelle. Mais nous avons toujours tâché de suivre nos convictions sur la pertinence de cet immobilier mixte, innovant et serviciel.

Leurs bios

Olivier Estève 

Ingénieur géomètre diplômé de l’École spéciale des travaux publics, Olivier Estève a débuté sa carrière en 1990 au sein du groupe Bouygues Construction, notamment en tant que directeur du développement de sa filiale Screg Bâtiment, avant de rejoindre en 2002 Covivio, l’ancienne Foncière des régions, en tant que directeur immobilier en charge de l’asset management et des grands projets de développement tertiaire. Il œuvre depuis 2011 au titre de directeur général délégué de la foncière cotée, dont le patrimoine était valorisé au 31 décembre 2022 à 26 Mds€. 

Philippe Chiambaretta

Fort d’une formation scientifique et économique à l’École des ponts et chaussées de Paris puis au MIT à Boston, suivie d’une expérience dans le conseil stratégique chez Booz Allen Hamilton, Philippe Chiambaretta a dirigé pendant neuf ans les activités internationales du Taller de Arquitectura de Ricardo Bofill à Paris. Diplômé de l’École nationale supérieure d’architecture Paris-Belleville en 2000, il crée PCA-STREAM, une agence de recherche et de création architecturale qui rassemble aujourd’hui une équipe pluridisciplinaire de 90 collaborateurs aux profils variés (architectes, urbanistes, designers, ingénieurs, chercheurs, éditeurs…).

Xavier Musseau

Diplômé de l’ISG Paris Business School, Xavier Musseau a passé dix ans dans les activités bancaires au Crédit lyonnais, couvrant différents domaines dont le financement structuré immobilier. Après avoir pris la tête de l’équipe financement et acquisition de Hines France en 2000, il est nommé directeur général 13 ans plus tard, montant au passage une équipe en charge des activités de gestion d’investissements, notamment la supervision des acquisitions, la gestion d’actifs et le financement de projets. Devenu directeur général exécutif en 2019, il succède un an plus tard à Patrick Albrand, cofondateur de Hines France, en tant que président. 

Leur projet commun

Inauguré officiellement le 31 mai, Stream Building, installé face au tribunal de grande instance, dans le 17e arrondissement de Paris, cherche à réinventer le rapport du bâti avec le vivant en intégrant sous un même toit toutes les activités d’une vie urbaine. Porté en co-investissement par Covivio et Assurances du Crédit mutuel, et réalisé en copromotion par Covivio et Hines France, l’immeuble de 16 200 m2 conçu par l’agence PCA-STREAM propose une programmation variée : 9 160 m² de bureaux loués entièrement par le spécialiste français du data center OVHcloud, 4 800 m² de résidence hôtelière dédiés au premier établissement parisien de l’opérateur néerlandais Zoku, ainsi que 1 100 m² consacrés aux commerces et à l’événementiel, complétés par 1 200 m² de ferme urbaine en toiture. Lauréat en 2015 du concours de la première itération de l’appel à projets Réinventer Paris, l’immeuble a aussi été pensé dans une optique de modularité, de manière à ce que ses plateaux d’environ 1 850 m2 puissent évoluer dans le temps. Constitué d’une structure bois et de noyaux en béton, il mise ainsi sur une trame structurelle, caractérisée par une géométrie carrée en façade, permettant la réversibilité totale de ses destinations. En outre, la structure en bois se prolonge en exostructure à la pointe du bâtiment pour accueillir une œuvre lumineuse signée de l’artiste Pablo Valbuena. Attestant de l’attention particulière apportée à sa vertu environnementale, Stream Building a reçu les certifications Effinergie+, HQE tertiaire Exceptionnel, Breeam Excellent, BBCA et E+C-, en plus d’être en conformité avec le plan climat Paris ainsi que le cahier des prescriptions environnementales et de développement durable (CPEDD) de la ZAC Clichy-Batignolles. 


Interview issue du Business Immo Global 196.

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