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Centres commerciaux à ciel ouvert, La flânerie retrouvée

S’enfermer dans un bloc de béton situé en périphérie d’une ville pour acheter sans compter : non merci. Les consommateurs veulent être libres, dans un univers connecté au réel, où l’offre ne se résume pas à la vente. Un espace à ciel ouvert où l’extérieur nourrit l’intérieur. Et la flânerie déclenche l’envie d’acheter.

Siroter un cocktail, face à la mer, au soleil couchant. Une scène idyllique très éloignée de l’image que l’on se fait des centres commerciaux. Pourtant, c’est à cela que ressemblent les nouveaux shopping centers à ciel ouvert. Oubliez le carrelage, l’éclairage blafard et les boutiques alignées en rang d’oignon : l’immobilier commercial fait entrer le soleil dans ses bâtiments. Sentiment de liberté retrouvée. On renoue avec l’esprit de flânerie : l’envie de se promener sans forcément acheter. Le centre commercial redevient un lieu de destination. Pour être légitime, à l’heure d’internet, le commerce physique doit donner au client une bonne raison de venir en magasin. « Les actes d’achat sur internet sont prédéterminés et réfléchis. À l’extérieur, c’est l’émotion et l’opportunité qui guident notre envie d’acheter », affirme Thierry Cahierre, président de Redevco France, concepteur de la Promenade Sainte-Catherine, à Bordeaux. Las de leurs écrans de smartphone, les consommateurs attendent des centres commerciaux une proposition qui ne se borne pas à l’exhaustivité. Internet le fait déjà. Ce qu’ils veulent, c’est de l’expérience, à en croire Antoine Frey, président du groupe éponyme, spécialisé dans la conception de parcs périphériques de plein air : « Les centres commerciaux à ciel ouvert ont une authenticité que le consommateur plébiscite aujourd’hui. Ils ne veulent plus aller dans ces temples artificiels de la consommation que représentent les centres fermés », atteste-t-il. Exit l’architecture en toc : place au vrai bois, au végétal, à l’eau et à la lumière naturelle. Pour sa Shopping Promenade d’Amiens, dessinée par Starck, Frey s’est inspiré des centres commerciaux californiens, véritables morceaux de ville. Cette exigence de vérité passe par une meilleure intégration du bâtiment commercial dans son environnement. « Un espace de commerce ne s’invente plus de façon intrinsèque. Les matériaux, les volumes, l’organisation urbaine : tout doit être en adéquation avec l’extérieur », soutient Thierry Cahierre. Intérieur/extérieur, telle est la dialectique autour de laquelle se construisent les centres à ciel ouvert.

Codes du centre-ville

La fluidité du parcours client se traduit par une signature architecturale qui s’inscrit dans le prolongement de la rue. Jérôme Pacau, directeur exécutif chez Lonsdale, raconte comment l’agence a conçu le parcours client et la signalétique d’Avenue 83, à Toulon, un mall à ciel ouvert signé Jean-Michel Wilmotte : « La circulation dans l’espace nous ramenait au geste architectural d’origine. Architectes et urbanistes ont travaillé de concert sur les accès piétons et l’orientation. Les designers jouent entre les artères principales et secondaires de façon à ce que le flux s’organise naturellement et s’équilibre entre l’intérieur et l’extérieur, le commerce et la rue. » Toujours dans le Sud, mais à quelques heures de route, le centre commercial Polygone Béziers, imaginé par L35, a aussi fait l’objet d’une intense réflexion sur la gestion du flux de ses visiteurs. Son originalité ? Avoir construit un mall extérieur, avec des vitrines qui donnent sur la rue quand, traditionnellement, les façades des centres commerciaux se tournent vers l’intérieur. Cette inversion de construction a permis de tisser une frontière poreuse avec le centre-ville et de créer une connexion directe entre les passants et le bâtiment. Un parti pris architectural qui emprunte ses codes au centre-ville. Avenue 83 rappelle ainsi l’identité portuaire de Toulon, à travers ses fontaines et ses bassins, ou encore, son emblème, le pin parasol, qui symbolise la région du Var. « Les nouvelles façons de consommer nous ramènent vers un commerce de proximité, incarné par le centre-ville. Le centre commercial à ciel ouvert devient une extension des cœurs de villes, offrant une véritable densité de commerces », analyse Jérôme Pacau. Dans ces nouveaux espaces urbains, l’objectif est le plaisir, plus que le commerce. L’extraordinaire cadre des Terrasses du Port, surplombant la Méditerranée et où sont organisés des afterworks tous les soirs sur le rooftop du centre commercial, illustre cette volonté des foncières de devenir de véritables acteurs de la ville.

Espace privé à usage public

Il est plus facile de coudre un espace commercial à ciel ouvert à son environnement urbanistique plutôt qu’un bloc monolithique posé en périphérie d’une ville. « La césure entre l’espace public et le centre commercial se fait de façon imperceptible. La rue se prolonge dans le centre commercial avec ses cafés, ses restaurants : tout ce qui va agrémenter la promenade du client », note Antoine Frey. L’hypercentre permet la convergence des espaces publics et privés. Dans ce sens, le futur projet Shopping Promenade Cœur Alsace, qui ouvrira ses portes en 2019, s’inscrit dans l’opération de renouvellement urbain de la zone commerciale nord de l’agglomération strasbourgeoise, projet d’aménagement opéré par le groupe Frey depuis 2013. Chez Redevco, il s’agit d’un mantra : « Nous sommes convaincus que les espaces de commerce doivent être considérés comme des espaces publics par les consommateurs », soutient Thierry Cahierre. Pour la Promenade Sainte-Catherine, le groupe a utilisé les pavés en granit qui font la particularité du centre historique de Bordeaux. Les commerces sont situés en pied d’immeubles, avec des logements au-dessus. Le président de Redevco est catégorique, l’avenir du commerce repose sur son ouverture au monde : « Le centre commercial ne peut plus se regarder le nombril, car il ne survivra pas seul. C’est un élément constitutif de l’urbanité du lieu et du dynamisme de la ville », assure-t-il. En collant à l’histoire de la ville, le centre commercial sort de l’uniformisation pour apporter une offre unique. C’est le cas des Docks de Marseille, dont l’écrin est un bâtiment classé, très connu de la cité phocéenne. « Grâce à un dessin architectural fort, imaginé par 5+1AA, ce retail park propose une expérience ludique et artistique aux clients qui découvrent un environnement atypique », explique Olivier Tavernier, directeur de portefeuille chez Constructa Asset Management, gestionnaire des Docks. Si le cadre est là, reste à décliner le concept en lieu de shopping. Car tout à ciel ouvert qu’ils soient, ces centres commerciaux des temps modernes ne vivent pas que de soleil et d’eau fraîche. Un nouveau business model est à réinventer.

Terrasses du Port : condensé de vie et de ville

Premier mall à ciel ouvert développé par Hammerson en France, les Terrasses du Port s’inscrivent dans la charte de la ville-port signée par Marseille, dont la vocation est de réunifier le port et la ville qui se tournaient le dos depuis des années. Une grande promenade a été construite au-dessus des quelque 190 boutiques et restaurants, avec un balcon surplombant la mer et l’activité portuaire. Le rooftop, qui peut accueillir jusqu’à 2 000 personnes par jour, est un lieu de fête où sont organisés six jours sur sept afterworks et concerts. On peut y danser jusqu’à 2 h du matin au son des meilleurs DJ ou juste y boire un café, face à la mer. « On a travaillé sur la connexion avec le port et l’activité de la ville. Des associations viennent aux Terrasses du Port pour y donner des représentations, on organise des expositions, des festivals de jazz. Nous voulions être le lieu où tout Marseille vient s’exprimer et créer du lien entre les habitants », raconte Sandra Chalinet, directrice des Terrasses du Port. L’offre commerciale se veut un mélange d’enseignes classiques et innovantes : le mall accueille de nombreux pop’up stores, nouveaux concepts, boutiques-écoles, designers. Des bloggeurs influents y ont leur vitrine, le centre aspire à être « the place to be » du port marseillais. Cette réalisation s’inscrit dans le cadre du programme EuroMéditerranée, la plus grande opération urbaine d’Europe du Sud. « Avant, le port était entouré de barrières et de friches dont on ne pouvait s’approcher. Aujourd’hui, le quartier est devenu un lieu de vie, pensé et imaginé pour compléter l’offre d’EuroMéditerranée », explique la directrice. Les Terrasses du Port ont donné un nouveau visage à la bordure maritime.